J’avais eu la chance d’être présent à la première lecture, en septembre dernier. Le texte, rien que le texte. La scène était nue, deux chaises, chacune faisant face au public, pour les deux comédiens. La mise en scène d’André Nerman ajoute un réalisme sobre, voire austère et laisse toute sa place à une écriture splendide. Deux bureaux modernes, l’un de bois naturel surmonté d’une lampe de même facture, l’autre d’acier noir où est posé un éventail de papiers testeurs. Assis derrière, les deux personnages. Pour la scène la plus intime, la plus éprouvante pour la protagoniste et les spectateurs, une chaise est posée face au public qui ressent tour à tour la douleur, la rage, la douceur, la sérénité…
Claire est la mère débordante d’amour d’un fils handicapé atteint d’une maladie dégénérative. Évoqué seulement, il est l’être pour lequel, autour duquel tout se joue. Ex grand voyageur, le jeune homme est un reclus intérieur en fauteuil roulant, incapable de parler. Il a l’intelligence vive, est doué d’une extrême sensibilité olfactive. La mère écrit à Paul, grand créateur de fragrances, un « nez ».
Paul s’est retiré du monde depuis la mort de sa femme. Tour à tour émanant d’une grâce lumineuse et bloc de volonté qui impose et s’impose, Claire va convaincre le parfumeur anachorète de créer des senteurs évoquant les lieux du monde. Les parfums vont permettre à Darius de voyager à nouveau, en pensée, de retrouver aussi ses émotions d’enfant. Sous les assauts de Claire, toute de passion et de ruse mêlées, Paul refuse d’abord sèchement, enfin cède. Il accepte la mission, le défi. Puis se prenant au jeu, se débarrasse peu à peu de sa dureté corsetée de détresse. Au fil de la lecture des lettres qu’ils échangent, la politesse roide que montre Paul à l’égard de Claire se mue en ouverture aux autres. Les créations exclusives s’enchaînent, les voyages imaginaires de Darius permettent à sa mère de continuer à vivre, à Paul de revivre.
Duel et séduction, haine et apaisement. Catherine Aymerie et François Cognard jouent magnifiquement ce duel âpre et tout d’humain désarroi. Si vous recherchez la pièce qui vous happe et vous laisse secoué comme rarement, courez voir « Darius ». C’est à Paris dans le Marais, au théâtre Essaïon jusqu’au 20 mars.
https://www.essaion-theatre.com/spectacle/947_darius.html