En domaine de poésie, Il ne suffit pas qu’un héros se présente comme un héros pour en faire un ! C’est un peu la leçon de cette quinzième chronique impertinente au sujet de feu Pierre Seghers (1906-1987) trop souvent considéré, surtout par ceux qui ne l’ont point connu, comme le créateur héroïque et inspiré des « Poètes Casqués » et des « Poètes d’aujourd’hui », sans peur et sans reproche et, de plus, l’éditeur légendaire n’ayant jamais pratiqué le compte d’auteur !
Certes, Pierre Seghers fut un ami, l’un de ceux qui reconnurent très tôt mon premier recueil de poèmes LE CIEL EN CAGE (1968) et avec qui j’entretins une correspondance enthousiaste.
Il me présenta même sa femme Colette, et Louis Aragon, me cherchant un emploi dans l’édition…
Quoi qu’il en soit, il n’est pas faux d’écrire que Pierre Seghers s’avéra toute sa vie un excellent marchand de soupe dans le milieu de la poésie contemporaine retombée de la Seconde Guerre Mondiale, et exact de préciser qu’il remercia en toutes lettres le Maréchal Pétain lui-même de l’avoir aidé pour une subvention qu’il avait demandée pour l’aide à l’édition de l’une de ses toutes premières publications.
Sans aucun doute, Pierre Seghers, que j’interviewais en direct dans une petite revue créée par Jean Cocteau, aima passionnément toute sa vie la poésie en général mais il aurait cependant refusé, selon moi, de passer pour un mythe intouchable auprès des jeunes générations. C’était un homme ouvert, jovial, expert et passionné, prenant toute sa vie des risques calculés pour réussir, comme il le méritait, dans son métier… Toutefois, oserai-je dire ici qu’il n’hésita pas à éditer par exemple un Philippe Chabaneix dans sa célèbre collection « Poètes d’aujourd’hui », un auteur à la versification plus que « classique » et aux id »es plus que réactionnaires, comme on dirait aujourd’hui, mais… au porte-monnaie florissant !
Pierre Seghers ne fut jamais de la gauche caviar
Pierre Seghers qui finit par vendre sa maison d’édition à son vieil ami Robert Laffont ne fit point une mauvaise affaire. Ainsi, la réédition en 2004 de « La Résistance et ses poètes, France, 1940-1945 » (Bruno Doucey étant chargé alors de redynamiser la marque) fut bien accueillie, notamment avec le texte de feu Seghers lui-même (de 1974). Mais la « note » de Bruno Doucey pour cette nouvelle édition étonne encore par son souci de politiser le propos jusqu’à la caricature. De plus, l’appel à la rescousse de la dernière épouse de Pierre Seghers, Colette, me semble aujourd’hui quelque peu mondain.
De toute façon, Pierre Seghers, de son vivant, ne fut jamais de cette « gauche caviar », fanatique et caricaturale à force d’excès populiste…
La missive
Son ouverture d’esprit était, à mes yeux, plus libertaire que communiste ou socialiste. Et j’en veux pour preuve une lettre qu’il m’adressa, en 1972, à la suite de l’envoi d’un de mes manuscrits à Murs. On peut y lire : « Quelle étincelante, sévère, âcre ironie dans vos derniers poèmes, le langage attaque, comme l’acide attaque le cuivre de la planche. La gravure est nette, essentielle, et fait de vous un poète hérétique ! Vous êtes, mon cher Maxence, la première lettre écrite ici, à 5 h du matin, alors que le soleil se lève. Je vous envoie le bon jour. Et je vous assure que ce n’est pas “une connerie de vivre” et que, en dernier lieu le poète que vous êtes, balaie la connerie en travaillant, en bâtissant sa maison, son œuvre. Cela est votre accent grave. Mais j’en ai trop dit. Je vous serre très amicalement la main ».
Cette missive révélatrice resta longtemps contre mon cœur. Aujourd’hui encore, quand certains universitaires avant tout politiques, conventionnels et réducteurs, rêvent de faire de moi un poète aux ordres des tartes à la crème de gauche ou d’ailleurs, j’aime la relire. Et je n’oublie jamais que Pierre Seghers lui-même proclame dans son anthologie des poètes de la Résistance : « La poésie de la Résistance ne sera pas la poésie d’un parti politique, mais celle de l’homme en danger de mort. Catholiques, juifs, protestants, communistes, agnostiques, tous se retrouveront pour défendre l’homme à nouveau mis en croix, sur le bûcher ou sur la roue » (p. 40).
À bon entendeur salut !