Nous pleurons la mort d’Igor et Grichka Bogdanoff. Avec eux, c’est un univers entier qui nous quitte : le leur, et un peu du nôtre. C’est sûr, il faut avoir connu les années 80 pour prendre la mesure du départ de ces deux frères jumeaux et quasi inséparables. Temps X fut pour beaucoup synonyme d’éveil à la science, et à la science-fiction.
Les deux frères géniaux avaient compris que la science-fiction était un moteur de la science. Que bien souvent ce qui était écrit dans les livres devenait réalité quelques dizaines d’années plus tard. Ils avaient su faire aimer le futur à toute une génération d’humains qui pourtant auraient eu des raisons de le fuir. Ils ont su faire rêver à un avenir meilleur et donner l’envie de comprendre.
Leurs visages, transformés au fil du temps, n’étaient pas la marque d’un dérapage. Ils étaient, quelle qu’en fut la cause, la marque d’une différence : celle de ceux qui cherchent éternellement. Car la curiosité des deux n’avait d’égal que leur intelligence. Et leur gentillesse. Ils cherchaient, ils découvraient, puis cherchaient encore, convaincus qu’il y avait toujours plus à découvrir. Un jour, Grichka m’a confié ce qu’il appelait sa conviction profonde, forgée par une vie de recherches : rien de ce qu’ils ne découvraient ne pouvait changer le fait que l’esprit est supérieur à la matière, que donc toute la physique dépendait de l’esprit et que tout n’était que le produit de l’esprit, ce formidable esprit que nous sommes. Simpliste ? Pas du tout, car ce n’était que l’annonce d’une longue explication sur le pourquoi du comment, dite avec un émerveillement profond pour l’univers et ce qu’on y trouve, et un grand amour des êtres.
Igor et Grichka Bogdanoff étaient drôles, brillants, avec certainement des défauts que je ne me suis jamais permis de leur trouver, par conscience de la poutre et de la paille dans l’œil. Ils ont été décriés, vilipendés, mais je pense honnêtement que c’est parce qu’ils étaient des esprits libres et supérieurs, et que certains ne peuvent le supporter, tant cela pourrait remettre en cause la place du leur dans le monde social dans lequel ils vivent.
A Rebelle(s), Grichka avait donné une belle interview dans laquelle il nous avait expliqué sa vision de la transcendance : « L’Univers est fini, sa cause est infinie ; l’Univers est temporel, sa cause est atemporelle ; l’Univers est spatial, sa cause est hors de l’espace-temps. On a bien là les attributs de la transcendance. » C’était sa vision de Dieu. C’était aussi sa vision de ce qui survit à la mort.
Les deux frères sont morts, à quelques jours d’intervalle, autant dire qu’ils sont morts ensemble, comme ils ont vécu. Comme s’ils avaient voulu ajouter à la légende. Car ils sont légendaires, déjà. Ils sont surtout des amis de l’humanité.
Ils sont morts de la COVID, c’est très dommage. Ils auraient pu mourir d’autre chose, c’eut été tout aussi dommage. Ils auraient pu mourir plus tard et c’eut été certainement mieux. Mais c’est comme ça. Ils seraient morts, comme tous, à un moment de toutes façons. Ils nous manqueront comme ils manqueront à beaucoup. Nous leur souhaitons un bon voyage, interstellaire, ou pas. Salut Igor, salut Grichka ! Et merci.