Grâce à l’esprit entrepreneurial de Sigmund Freud, la psychanalyse a pu s’implanter dès sa naissance dans le milieu psychiatrique. Pour autant, la talking cure n’a pas réussi à obtenir les résultats escomptés. Pourquoi ?
La fabrique des aliénés
Au sujet du milieu hospitalier, le philosophe Michel Foucault nous dit qu’« il tend à individualiser les corps, les maladies, les symptômes, les vies et les morts ; il constitue un tableau réel de singularités juxtaposées et soigneusement distinctes. Naît de la discipline, un espace médicalement utile ». La visée politique de la psychiatrie est donc moins curative que disciplinaire. L’institution psychiatrique se donne ainsi pour vocation de créer l’aliéné et de le maintenir dans ce statut politico-social. Difficile alors d’échapper à une hyper-rationnalisation du milieu psychiatrique où le praticien apparaît comme le dominant et le malade le dominé. Le cas exceptionnel de la clinique universitaire du Burghozli est intéressant car il marque la rupture avec une telle visée politique dans la mesure où Bleuler, Jung ou encore Binswanger ont instauré une stricte égalité thérapeute-malade. Hélas le monde psychiatrique n’a pas su retenir les leçons du maître de Zurich car il transforme de manière radicale l’être souffrant en être malade, l’être en quête d’individuation en être mis sous contrôle.
L’enfermement psychopathologique
La psychanalyse a eu son influence dans le milieu psychiatrique et malgré tout elle a échoué à imposer un modèle alternatif viable. Elle a en quelque sorte épousé la conception nosologique de la psyché et a participé au renforcement de la position politique de l’institution psychiatrique. N’oublions pas que la psychanalyse est à l’origine du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), véritable bible du psychiatre. Elle a misé sur l’enfermement nosologique plutôt que sur la méthode de l’individuation Jungienne ou encore sur l’analyse caractérielle de Wilhelm Reich. Elle s’est rangée du côté de la conscience autoritaire et s’est détournée de la conscience humaniste. Comme le dit un autre dissident de Freud, Erich Fromm, « la conscience humaniste est fondée sur le fait que, en tant qu’êtres humains, nous avons une connaissance intuitive de ce qui est humain et de ce qui ne l’est pas, de ce qui est favorable à la vie et de ce qui détruit la vie ».
On aurait pu espérer de la psychanalyse une révolution épistémologique ou le Moi imaginal l’aurait emporté sur le Moi rationnel. Au lieu de parier sur la beauté de l’âme du patient, elle a préféré contribuer au développement de la nosologie. Elle est donc complice du succès actuel de la camisole chimique à tout va.
Les querelles de chapelle ont laissé le champ libre à cette nosologie nauséabonde et ont éloigné les psychanalystes de l’âme de leurs patients. Car l’analyse, retenons-le, est une affaire d’analyse de la beauté de l’âme et non de classification nosographique.
La séparation entre le sujet et le monde
Le drame de la psychanalyse est qu’elle s’est tournée entièrement vers l’âme intérieure. Elle a oublié que le monde possède également une âme. L’âme est dans le monde. La dichotomie entre sujet et monde, comme l’a fort bien souligné le psychanalyste existentiel Ludwig Binswanger, rend impossible l’objectif de la cure analytique. Car, il faut bien le dire, le monde est devenu toxique : les institutions sont malades, les immeubles sont malades, les systèmes bancaires sont malades, les rues, les écoles, les hôpitaux, les gilets jaunes, les CRS. La maladie est partout. Ignorer le rapport existant entre le sujet souffrant et le monde toxique actuel fait également partie des objectifs fixés par l’institution psychiatrique. Le malade doit absolument rester centrer sur sa maladie.
Le refoulement du Moi imaginal
Le psychanalyste américain James Hillman nous rappelle que « ramener la psyché à la vie signifie la détourner non point de la maladie, mais de cette vision maladive d’elle-même qui réclame les soins, les connaissances et l’amour du praticien ». Réduire la personne à un individu social, à une catégorie nosologique, voilà le drame de l’institution psychiatrique qui a délibérément occulté le fait que l’être humain possède un Moi imaginal, qu’il s’incarne au quotidien en chevalier, géant, héros, vampire, belle au bois dormant, etc. Ce qui est fascinant dans la psychanalyse, ce n’est pas le diagnostic qui décèle la maladie ou même le processus de guérison du mal-être, mais bel et bien cette faculté magique de l’analyse à réaliser l’âme de l’analysant. Réaliser son âme, voilà le véritable cheminement que devrait se donner n’importe quelle institution psychiatrique. Et nos psychiatres-psychanalystes freudo-lacaniens qui œuvrent encore dans le monde psychiatrique feraient bien aussi de s’en souvenir.
Frédéric Vincent