Le Surhomme : du Dieu fait homme au Héros de Science fiction
Les héros de fiction sont souvent nés d’un dieu ou d’une déesse de l’Antiquité. Ils ont un destin extraordinaire. Ils descendent du ciel sur la terre. Ils apparaissent en songe, hantent nos nuits ou encombrent notre réalité par littérature, histoire et représentations plastiques. En commun, doués de la « force », ils ont accès à l’immortalité tout simplement parce que c’est nous qui avons le désavantage de mourir avant eux ! Par dépit, nous leur accordons la rare qualité du « moins mourir » et celle plus étrange de naître ou d’apparaître. Les héros viennent d’un espace qu’il nous est interdit de hanter ; ils le font pour nous car ils sont de nous ! Dans l’histoire, ils se manifestent sous diverses formes, toujours au bon moment. En politique, « ce théâtre du crime », le héros n’est pas intemporel. Les hommes gouvernés brûlent ceux qu’ils ont adorés.
Le héros trahi et sacrifié, une si vieille histoire !
Le mythe d’Hiram : le mythe laisse aussi entendre que le constructeur du temple de Salomon, le héros mythique Hiram, aurait été un homme pourvu de toutes les qualités, connaissance, force et sagesse… Donc, un héros appartenant à la tradition maçonnique. Trahi et assassiné par trois de ses compagnons. Maître Hiram est héroïsé par la trahison comme Judas, dans les apocryphes (textes cachés, non reconnus par l’Église), participerait à une héroïsation de Jésus. « L’un de vous me trahira ». Pour que Jésus soit héroïsé il faut que Judas soit stigmatisé. Cette interprétation gnostique tardive est fondée sur le renversement symbolique du héros, interprétation postérieure aux évangiles retenus ; elle met en évidence le mécanisme symétrique et inversé de l’héroïsation partagée par bien des héros mythiques au fil des siècles.
Désormais l’histoire est scientifique : elle établit les faits
Elle établit des faits prouvés par la compilation d’archives, l’archéologie et maintenant de laborieuses comparaisons ADN. Pendant la période New Age on pouvait encore aimer caresser le songe que Naudorff était le Dauphin de France Louis XVII. La France se remettait mal de la mort du roi : son fils aurait survécu, immortel héros de la Monarchie perdue et tant regrettée. La question que les nouveaux historiens doivent désormais poser c’est pourquoi cette affirmation révérée par beaucoup fut-elle aussi répandue et cette fausse croyance autant partagée ? La réapparition des héros morts et des rois assassinés ne se manifeste pas que dans les tragédies de Shakespeare et les opéras héroïques de Verdi. Le retour cyclique du héros d’histoire ou de légende est assez singulière illusion. Ce héros qui aurait survécu, des dévots croient l’apercevoir (l’ubiquité caractérise le héros revenant) et le reconnaissent. La police connaît bien ce genre d’illusion. Ces personnages font partie, dans un objet mémoriel d’histoire, au cycle de l’éternel retour du héros bien aimé.
Une étude comparative de cas : soumission et domination !
En 1941 Germaine Bouret, par cette mise en abyme tente d’immortaliser Pétain en Père Noël, héros familial français. Les enfants d’un jeu de miroir le rendent éternel. Hitler est le chevalier germanique surgi du passé de Frédéric de Hohenstofen représenté en 1938 par le peintre H. Lanzinger. Les deux symboliques entrent dans la dialectique du vainqueur et du vaincu : les héros sont éternels mais on comprend que ces images de 1938 à 1941 représentent une symbolique de soumission pacifiste au futur vainqueur : celle du maréchalisme vaincu face à l’Occupant armé. Une autre variante s’imposera : celle de l’assimilation de Pétain à Vercingétorix par un mécanisme mental qui tient du tour de passe-passe de l’escamoteur. Pétain et Vercingétorix sont des vainqueurs dans la légende nationale. L’un à Verdun l’autre à Gergovie. Grands dans la victoire ils le sont aussi dans la défaite et le sacrifice. Le héros de Gergovie (près de Vichy !) se rend à César tandis que Pétain vaincu dans l’honneur collabore à Montoire où il prend la main de son vainqueur. Le héros dont on attend le réveil est d’un caractère plus christique dans un style résurrectionnel. On cherche le tombeau (cas d’Alexandre le Grand). Vulgairement on pourrait appeler cette attente de retour ou de réapparition du Corps Glorieux : le coup du tombeau vide ! Christiane Desroches Noblecourt écrivait que Khéops (au tombeau toujours introuvable) rendait insensé.
Les mythogrammes peints dans les grottes racontent-ils une histoire très ancienne commune à l’Europe, l’Asie et tous les continents ?
Des finistères occidentaux jusqu’aux confins de l’Eurasie, l’art rupestre de Cro Magnon n’est pas comparable à celui de Néandertal. Cependant on considère que la figuration animale et le tracé de signes abstraits constituent le premier art des cavernes. Une très longue histoire de signes sans paroles aurait précédé des graffitis Néandertaliens sans que l’on sache comment se fit le passage de l’abstrait signé à la figuration animale. L’homme est un animal qui a besoin de ses souvenirs héroïsés lors de conflits très antérieurs. Les guerres de Troie ont bien eu lieu. On ne sait pas trop quand ni en quels lieux précis ! Ismaïl Kadaré décrit cette quête au cœur de l’antique Albanie des chants premiers de L’Iliade et de L’Odyssée, dans Le Dossier H. Homère se raconte depuis des siècles et les héros chantés par des aèdes sont en nous, remémorés avec des ajouts, mais jamais fatigués.
Les héros sont en nous et proviennent d’un temps originel de notre histoire extrême !
En Europe et en Eurasie, des héros grecs ou albanais sont issus des différents groupes qui depuis la sortie d’Afrique vont à la découverte de la « machine ronde ». Ils racontent le même mythe fondateur. Parmi les premiers signes datables observés et relevés il y aurait selon Emmanuel Anati, des psychogrammes, de pures représentations de décharges d’énergie. Peut-être sont-ils les premiers sons produits et psalmodiés par le groupe dans la nuit des cavernes ? Ils sont signes de reconnaissance transmetteurs de l’énergie vitale. Michael Witzel va aussi beaucoup plus loin dans l’espace géographique en comparant les mythes premiers de Cro Magnon dans l’ensemble de l’Eurasie et de l’Asie. Les signes depuis l’errance « out of Africa » sont des mythes héroïques collectifs datables d’une centaine de milliers d’années ; ils demeurent latents dans la partie sombre et la moins consciente de notre mémoire ancestrale. Nous sommes d’abord menacés par nous-mêmes. Récurrents, les héros cycliques sont mortifères. Ont surgi du néant des Blak Bloks parés de noir. Leurs masques terrifiants sont ceux des tenants de l’étoile noire : Dark Vador est passé du côté obscur de la « Force ». Infantiles, nos mythes ne le sont pas. Ce sont nos héros imaginés qui sont sans âge ; il révèlent la peur de disparaître comme seront chassés de notre planète les derniers grands animaux représentés jadis dans les grottes premières. Le cycle héroïque s’accélère. Les grands animaux peints au mur de la grotte obscure font retour dans un futur sous la forme de Chewie au côté de Han Solo le Héros de la Liberté. Serait-il donc de retour à nos côtés le héros lion du paléolithique ? Le mythe du héros serait-il celui d’une humanité parmi d’autres probables dans le temps et l’espace, renaissant éternellement des cendres dispersées d’universels embrasements des évolutions ? Images et signes sont-ils songes de singe ? L’éternel retour de nos héros imaginés est-il le fruit d’un emprunt génétique aux mémoires d’autres humanités, transmission qui aurait bousculé les barrières d’espèces ? Serions nous par la faiblesse de notre perception du « réel » en proie à un idéalisme qui nous est propre et impartageable ? Les images revenantes de nos héros d’invention seraient-elles un accident cosmique de mémoires disparues sans l’immense don de l’oubli ? Quel poète peut atténuer le doute sur notre infernale condition : ne pouvoir vivre sans l’évocation des idoles rêvées de nos immortels héros ?
Robert Liris
Consultations documentaires :
Marcel Detienne, Comparer l’incomparable, Seuil
Emmanuel Anati, Aux origines de l’art, Fayard
E.J. Michael Witzel, The Origins of the World’s
Mythologies, Oxford university press.
Ismaïl Kadaré, Le Dossier H.