Article paru dans le Rebelle(s) numéro 4 de mai/juin 2016
Les nouvelles religions, ça a toujours eu le don d’énerver. Une religion, ça commence toujours par être nouveau avant d’être ancien. Faut bien commencer un jour. Lorsqu’un nazaréen déboule dans Jérusalem comme un réformateur qui promet une liaison directe avec Dieu le Père sans passer par le rabbin, on a vite fait de le clouer en croix et de vouer ses disciples aux gémonies. Puis plus tard les adeptes de cette « secte juive », pour Rome, sont soumis aux lions et à la torture publique. Ne pensez pas qu’ils étaient les premiers. À titre d’exemple, les disciples de Pythagore organisés en une confrérie religieuse portée sur les sciences se sont fait massacrer et ont vu leurs maisons brûlées, parce qu’ils étaient une secte trop bizarre, même pour les grecs… Dire que nos chères têtes blondes aujourd’hui doivent aduler le théorème d’un grand guru en chef d’une secte considérée comme dangereuse et subversive, guru auquel on attribuait des pouvoirs extraordinaires, la connaissance de toutes ses vies antérieures, le don de guérison par la musique et j’en passe ! Le Mani des manichéens s’est vu coupé en deux et sa tête clouée aux portes de la ville, Mahomet chassé de la Mecque et attaqué sans relâche pendant des dizaines d’année, les Sikhs persécutés pendant des siècles par les Moghols… Bref, les nouvelles religions, ça énerve.
Peut-on évoluer ?
Aujourd’hui, se créent encore de nouvelles religions. Et heureusement. L’aspiration au divin, à la connaissance du fondement de la vie, de la création, n’est pas une scorie des civilisations passées, mais plutôt une impulsion intrinsèque de l’esprit humain, qu’il soit d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Certes, les religions des hommes ne reflètent pas toujours cette vision bienveillante de la recherche du divin, voire font la démonstration du contraire. Mais tout coller sur les dos des religions, c’est facile, et c’est surtout très fallacieux. Les idéologies politiques ont fait aussi leur mal, et ce sont les défauts des hommes plus que les qualités des dieux qui se reflètent dans les entreprises malveillantes des premiers, l’avidité, la soif de pouvoir et la jalousie n’étant pas des moindres. Alors ne doit-on pas laisser leur chance aux nouvelles religions d’aujourd’hui, quand on a vu que celles d’hier ont été rejetées violemment au prix de nombreux morts pour la foi (mais par persécution bien avant que ce soit par esprit de croisade) ? Ne peut-on imaginer un autre mode d’acceptation d’une religion nouvelle, en évitant par exemple de crucifier ses disciples avant qu’elle ne devienne une belle et respectable croyance ? Si nous sautions l’étape « faisons brûler cette secte de malheur » pour passer tout de suite à une relation normale de respect et de tolérance à l’égard des croyants d’un genre nouveau ? Qui sait, peut-être les religions qui naissent ont elles des qualités que n’avaient pas celles d’antan. Et si ce n’est pas le cas, peut-être que le respect que nous leur porterons quand même, leur évitera de finalement prendre le visage de l’oppresseur à leur tour quand le moment de leur gloire sera venu, s’il vient un jour.
Ces nouveaux « mouvements religieux »
Les voici les nouveaux « effrayants » : les témoins de Jéhovah, les mormons, les scientologues, les adeptes de la Science Chrétienne, les moonistes de l’Église de l’Unification, les théosophes, etc. Que n’ont-ils pas qu’avaient les religions d’antan ? Honnêtement, je ne sais pas. Quand on voit que Charles Taze Russel, le fondateur des Témoins de Jéhovah a écrit plus de 5000 pages imprimées, qu’il a prononcé plus de 30 000 sermons publiés dans plus de 4 000 revues, on se doit de prendre au sérieux son influence, et de ne pas considérer tous ses suivants comme des illuminés au bas QI, quoi qu’on pense de son millénarisme. Quand on sait que Ron Hubbard, le père de la scientologie, a écrit plusieurs centaines de milliers de pages pour développer une philosophie religieuse que des millions de gens ont aujourd’hui adoptée, seulement 30 ans après sa mort, on devrait peut-être réfléchir avant de considérer tout scientologue comme un idiot manipulé ou un génie manipulateur (selon sa place dans son Église). Le temps nous dira sûrement ce qu’il adviendra de ces religions, si elles rejoindront les tiroirs des universités comme nombre de leurs ancêtres dans les méandres de l’histoire, ou si elles atteindront une apogée, un succès, une gloire à l’instar de quelques unes des religions passées qui continuent à influencer aujourd’hui le coeur et l’esprit des hommes et femmes de la terre. En attendant, rien ne sert de répéter les erreurs du passé, rien ne sert de crucifier, de brûler ou d’exorciser leurs fidèles. Ils ne sont certainement ni plus bêtes ni moins intelligents que nous.
Au feu les sectes !
Ma bienveillance à leur égard n’est peut-être que la réaction pacifiste et provocatrice à la haine qui anime certains dès qu’il s’agit de nouvelles religions. L’écrivain Roger Ikor, fondateur du Centre Contre les Manipulation Mentales, grand pourfendeur des sectes de tous poils, s’était exprimé comme suit en 1981 : « Il faut cogner, détruire ces sectes qui pullulent sur notre pourriture. Quand suffisamment de gens iront mettre les locaux des sectes à sac, ils (les pouvoirs publics) remueront sans doute ». Nous voici revenus chez les massacreurs anti-Pythagore de la Grèce antique. Au diable la raison, la secte est mauvaise par essence, et ce mal absolu justifie qu’on ne soit pas trop regardant sur les moyens. Les moyens d’ailleurs, ce n’est pas ce qui a semblé manquer à nos voisins belges pour tenter une crucifixion en règles des scientologues de Bruxelles.
Au feu les scientologues !
Cette affaire belge est un cas d’école. En rendant sa décision le 11 mars 2016, le tribunal bruxellois a choisi de jeter au feu le procureur, les policiers et même la sûreté de l’État plutôt que les scientologues. Pourquoi une telle colère à l’égard de ces loyaux serviteurs de l’État ? Parce que justement, au lieu de servir l’État, ils auraient plutôt dérapé dans une sorte de justice parallèle, inutile et surtout infondée. L’auraient-il fait pendant quelques mois, peut-être le tribunal aurait été plus clément. Mais 18 années d’enquête à la charge du contribuable, pour livrer « en vrac » d’après les juges, un dossier qui finalement montre « qu’en réalité, ce qui a été visé, ce ne sont pas tellement les comportements infractionnels individuels de chacun des prévenus, mais que de manière générale ce qui semble poser problème à la partie poursuivante, c’est l’idéologie ou la philosophie constituée par l’enseignement de Monsieur Ron Hubbard au travers de la scientologie », disent les juges avant d’acquitter l’Église de Scientologie belge et les 12 scientologues. C’était la goutte d’eau qui faisait déborder le réservoir ! Comble du comble, c’était la cellule « sectes » de la brigade anti-terroriste de Belgique qui avait mené l’enquête pendant 18 ans, avec l’aide de la Sûreté de l’État (les services secrets belges), tandis qu’à deux pas de là, à Molenbeek ou à Schaerbeek, les terroristes se la coulaient douce ou presque, avec les résultats que l’on sait. Et le policier antiterroriste en chef de cette cellule anti-secte, l’OPJ Lesciauskas, passait toutes ses journées dans la salle d’audience pendant le procès qui dura d’octobre à décembre 2015, tandis que les attentats du 13 novembre allaient avoir lieu, puis avaient lieu, puis avaient eu lieu. Pour ceux qui se sont demandés « mais que fait la police ? », la question est réglée !
Un combat vain et consumant
Joseph Smith, le fondateur du mormonisme, fut assassiné en 1844 par des émeutiers persuadés que les mormons étaient des « diables infernaux », 6 ans après que le gouverneur du Missouri a publié « l’ordre d’extermination des mormons » qui justifia des années de persécution de ces derniers. Durant le xixe siècle, combien de fonds dépensés, combien de soldats mobilisés et combien de temps perdu pour lutter contre l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (Église mormone) ? Et pour quel résultat ? Aux États-Unis, les mormons ont finalement crée quasiment un État à eux, l’Utah. Et il s’en fallut de peu pour qu’en 2012, la plus grande puissance mondiale ait à sa tête un président mormon en la personne de Mitt Romney. Le combat contre les nouvelles religions est le plus souvent un combat vain, consumant et inutile. Plus que les querelles de clocher et les opinions des uns et des autres sur tel ou tel mouvement, ce qui est le plus choquant n’est-il pas le gâchis des énergies, le saccage des bonnes volontés et la perte de chance qu’entraîne le rejet de toute religion nouvelle ? Pour chaque religion rejetée ce sont des milliers ou des millions de citoyens qui se sentent exclus, au moins en partie, du jeu sociétal. A-t-on tant que ça les moyens de perdre ces forces vives ? Et si eux aussi, avaient quelque chose à nous apporter ? Je sais, les nouvelles religions, ça a toujours eu le don d’énerver.