Avec Alain Jouffroy né en 1928 et mort le 20 décembre 2015, à Paris, nous sommes très éloignés des petits copieurs d’aujourd’hui, pisseurs de biographies studieuses à compte d’auteur et sans intérêt et nostalgiques des surréalistes de l’époque héroïque d’André Breton et prenant le moindre plagiat facile de Sarane Alexandrian pour un chef-d’œuvre de ce début de siècle ! Farouchement indépendant, Jouffroy aimait surprendre, toujours aux aguets des imbéciles pour mieux les exclure du jeu des reconnaissances faciles. Il étonnait souvent dans ses prises de position littéraire, et j’avoue avoir été très sensible à son jugement sur mon ouvrage « Au tournant du siècle, Regard critique sur la poésie contemporaine » édité en 2013 par les Éditions Seghers (1).
Non seulement Alain Jouffroy au déclin de sa vie me remercia par écrit pour mon regard qu’il trouva « critique, ce qui est toujours nécessaire » (sic), mais il n’hésita pas à m’écrire: « je vous félicite de votre effort pour citer le maximum de poètes dans votre livre, en vous moquant des inimitiés prévisibles des absents. Ce travail a dû vous coûter du temps, et même parfois vous en faire perdre ». Il notait: « Les mots que vous me consacrez me touchent et je vous en remercie », ajoutant qu’avec mes impertinences souvent bien ciblées la poésie finirait, peut-être, par redevenir séduisante. Il poursuivait: « Aujourd’hui, elle l’est rarement. Tant pis pour elle ! C’est pourquoi je déchire beaucoup de mes poèmes. Ils m’écrasent. J’en perds ma clé de sol ».
C’est l’amie Françoise Thieck (2) qui me suggéra de contacter Alain Jouffroy qu’elle avait bien connu autour du « Manifeste électrique au paupière de jupe », quand Michel Bulteau, Matthieu Messagier et quelques autres flirtaient avec Christian Bourgois. À mes yeux, Alain Jouffroy fut le dernier des surréalistes rebelles. Un créateur de la stature d’un Louis Aragon, probablement. Irrécupérable par la postérité des commerçants, il prouva toute sa vie sa farouche indépendance avec ses 120 livres édités, dont pas un seul n’est inutile ou médiocre. Plus on relira l’œuvre multiforme de Jouffroy, plus on découvrira son importance, sa valeur, son impact. Alain Jouffroy (3) a aimé toute sa vie « la vie à crier ». Il a su signer des pactes magnifiques avec les orages et construire une œuvre vaste comme un cérémonial pour une révolution permanente. Il n’hésite pas à écrire « J’ai tout appris de la foudre ».
Sa personnalité de Feu a toujours su se mettre au service de la liberté.
1. Jean-Luc Maxence, Au tournant du siècle Regard critique sur la poésie française contemporaine (Seghers, 2014)
2. Françoise Thieck, Collection Poètes trop effacés n° 5 (Portrait, Bibliographie, Anthologie), (Le Nouvel Athanor, 2010)
3. Samuel Dudouit, Alain Jouffroy passe sans porte (Le Littéraire, 2015)