Il y eut un premier jour. Il y eut un matin.
(Pour lire la première partie, c’est ici.)
Iggy Pop & The Stooges
L’écorché vif du Rock !
Grand chroniqueur des dérives humaines et des naufrages émotionnels, lui et son groupe, les Stooges, en trois albums mythiques, de 1969 à 1973, ont posé les bases de ce qui deviendra un jour le Punk Rock. A de rares exceptions près, leur son est “garage”, sale même.
Sur scène, les Stooges bouleversent toutes les conventions. Les trois musiciens martèlent des riffs et des rythmes figurant une explosion émotionnelle continue pendant qu’Iggy Pop, torse nu, joue au chat et à la souris avec le public, dansant parfois comme un babouin, se déshabillant parfois complètement. Il est l’inventeur du stage diving, le fait pour un chanteur de se jeter dans le public. Tout le show baigne dans une agressivité extrême et personne ne sait jamais à l’avance ce qui va se passer. Sur scène, les Stooges créent une très forte impression.
Iggy Pop a toujours su qu’il était différent : “J’ai grandi dans un environnement conformiste, étouffant. Très jeune, j’ai compris que j’étais différent des adolescents qui m’entouraient et de leurs rêves à quatre sous. Leurs nanas stupides en socquettes blanches et leurs bagnoles de sport, j’ai décidé que jamais je ne me battrai pour les avoir. Moi, on me les donnerait.”
Engagés par Elektra Records, le groupe sort en 1969 son premier album, au titre éponyme. Un morceau, parmi d’autres, fera date, I Wanna Be Your Dog :
Malgré les mauvaises ventes du premier album, ils récidivent en 1970 avec Fun House et son TV Eye :
En 1971, après deux albums et des concerts tous plus délirants les uns que les autres, les Stooges ressortent épuisés par les drogues et une vie impossible à assumer au quotidien. Chacun rentre chez soi au bout du rouleau et leur maison de disques déclare forfait. C’est finalement David Bowie qui fera revenir le groupe en Angleterre pour lui faire enregistrer Raw Power, un album essentiel qui bouclera magnifiquement la trilogie de l’épopée Stooges.
Gimme Danger, une chanson troublante sur le vide abyssal de l’âme dont peut être saisi un être et ses tentatives frénétiques pour en sortir. Même si l’on n’a jamais ressenti ce vide, les Stooges arrivent à nous faire parfaitement saisir ce que ça pourrait être :
A l’introduction des Stooges au Rock And Roll Hall Of Fame en 2010, Iggy Pop fera la déclaration suivante : “Ron Asheton, notre premier guitariste, et Dave Alexander, notre premier bassiste, aujourd’hui décédés, auraient bien aimé connaître ça de leur vivant. Je suis sûr que tous les mecs fauchés qui ont fait le Rock ‘n’ Roll aussi. Mais ça n’est pas grave : ils sont tous cools ! Ils doivent tous être là-haut en train de siroter un martini avec Brian Jones. La musique c’est la vie et la vie n’est pas un commerce”.
Oscar Wilde
Un article sur les précurseurs du Glam Rock serait incomplet s’il ne nommait expressément Oscar Wilde comme le premier acteur chronologique, la version 1.0 de toute l’histoire. Son obsession pour l’esthétisme, son dandysme et son androgynie assumés, la façon dont il a cultivé son image publique jusqu’à ses déclarations fracassantes sur l’objet de l’Art en font le chef de file incontestable des glam rockers, bien avant la lettre. L’échantillon N°1.
A ce titre, la lecture attentive de son Portrait de Dorian Gray en fait une bible, une écriture sacrée des principes de base du Glam Rock, largement plus exploitée par David Bowie que par tout autre, d’ailleurs.
Bien sûr, Oscar Wilde n’a pas produit de “hit” et son domaine d’action n’était pas la musique. Mais ses nombreuses pièces de théâtre regorgent d’observations lucides et acides sur les contradictions de son époque et témoignent d’un jusqu’auboutisme décomplexé dans l’esthétisme.
Mais surtout, surtout, Oscar Wilde a élevé la déclamation d’un paradoxe au niveau d’une forme d’art en elle-même. Ses citations sont nombreuses, connues et provoquent diverses réactions émotionnelles et intellectuelles en fonction du sujet qui les reçoit. Tour à tour justification pour les décadents assumés, trait d’esprit particulièrement percutant pour une personne cultivée et observatrice ou manifestation d’humour au deuxième degré.
Oscar Wilde paiera cher son inconscience de la puissance de l’establishment et son illusion d’être au-dessus de la morale puritaine, d’être inattaquable. Voulant “punir” le père de son amant qui l’avait traité de sodomite, il l’attaquera en justice où il fera face à un avocat qui avait particulièrement bien préparé son dossier. Toute la vie privée de Wilde sera étalée, preuves à l’appui, pendant la procédure et c’est finalement Oscar Wilde qui sera condamné aux travaux forcés pour grossière indécence (on n’aurait jamais osé prononcer l’expression “activité sexuelle entre hommes” dans un tribunal). Il passera 14 mois dans la prison de Reading et en ressortira totalement brisé. Lui qui croyait que “le style est toujours vainqueur” ne s’est jamais remis du démenti apporté par les événements. D’une certaine manière, par sa triste fin de vie, il pourrait être considéré tout à la fois comme un prophète, un héros et un martyr du dandysme.
Il nous reste ses savoureux paradoxes. Je vais en égrener quelques-uns, juste pour le plaisir :
Le meilleur moyen de se débarrasser d’une tentation est d’y succomber
La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde
Quand il parle pour lui-même, un homme ne peut que mentir. Donnez-lui un masque et il vous dira la vérité (celui-là, on pourrait le croire écrit pour Ziggy Stardust en personne !)
C’est l’Art qui créé la Vie, pas l’inverse
Une oeuvre d’art n’est pas morale ou immorale. Elle est bonne ou elle est mauvaise, c’est tout.
La vérité est entièrement et absolument une affaire de style.
Vivre est la forme d’art la plus aboutie. Les autres formes d’art ne font que nous y préparer.
Plus Glam Rock, tu meurs ! Et ce n’est certes pas David Bowie ou Brian Ferry, leader de Roxy Music, qui me contrediraient.