Emplois et management « à la con »
Selon une étude réalisée par la Fondation Jean Jaurès, les salariés français ne sont que 44 % à considérer que leur travail est reconnu à sa juste valeur, alors qu’ils sont 64 % au Royaume-Uni, 76 % en Allemagne et 79 % aux Etats-Unis. De nombreux ouvrages sont consacrés à ce malaise. Deux d’entre eux se distinguent en tentant de mettre des mots et des anecdotes sur cette nouvelle plaie qui gangrène de plus en plus de vies professionnelles et personnelles.
L’un, Bullshit Jobs (jobs à la con), écrit par David Graeber, professeur d’anthropologie de la London School of Economics, figure de proue du mouvement « Occupy Wall Street », s’articule à partir de témoignages collectés concernant la prolifération d’emplois inutiles : larbins, cocheurs de cases et autres petits chefs complices de l’ordre des cadres en cols blancs, surtout soucieux de leur réussite individuelle. Plus largement il se livre à une mise en coupe réglée de la « théologie du travail » et se lamente au constat que, politiquement, « nous ne sommes pas prêts à rêver ce que nous pourrions faire si nous avions du temps. »
L’autre, La Comédie (in)humaine, écrit par Julia de Funès, philosophe, et Nicolas Bouzou, économiste, conférenciers et consultants auprès d’entreprises et d’organisations, est structuré par leurs expériences au contact des clients. Ils restituent un monde de normes, de process, de reporting et d’indicateurs, organisé et contrôlé par des managers au vocabulaire mimétique, qui transforment les salariés en « robots bas de gamme ».
Les deux ouvrages concluent que ces approches managériales sont à l’origine de la souffrance qui se multiplie de manière exponentielle, chez les employés, mais aussi chez les cadres. Mais ils divergent quant aux voies qui permettraient de sortir de cette impasse. Le premier, plus politique, regrette que le progrès des technologies ne soit pas mis au service de la libération des individus et suggère l’instauration d’un revenu universel qui permettrait aux gens de ne plus aller travailler uniquement pour gagner de l’argent. Le deuxième, plus prosaïque, appelle à un changement des modes de management et à la transformation des formations et séminaires infantilisants. Il plaide pour une démarche d’accompagnement consacrée à l’explication intelligible de la stratégie, de l’organisation, des enjeux et des défi s de l’entreprise. L’avenir dira lequel de ces deux conseils portera des effets.
https://jean-jaures.org/nos-productions/inutilite-ou-absence-de-reconnaissance-de-quoi-souff rent-les-salaries-francais
Patrick Boccard