L’irruption d’un quasi-inconnu à la magistrature suprême, renforcée par un renouvellement sans précédent des instances exécutives et législatives, a transformé la France. En quelques semaines, les déclinistes qui monopolisaient l’attention des médias et suscitaient une apparente adhésion des citoyens, sont passés de la lumière à l’ombre. Le “French bashing” a soudainement laissé la place au « France is back ». La déprime est endiguée par le regain d’une confiance que l’on croyait à jamais exilée. L’optimisme et la bienveillance redeviennent « tendance ». Les premiers changements de postures du nouveau Président, ses promesses et ses projets, ont suscité une quasi-unanimité, y compris sur la scène internationale. Au nez et à la barbe d’une opposition qui roucoulait sur l’impopularité record de son prédécesseur et frétillait à la perspective d’élections imperdables, le « jeune inexpérimenté » a raflé la mise : non seulement il s’installe à l’Élysée, mais il renvoie à leurs chères études la majorité des députés sortants et les remplace par ses troupes de débutants de la société civile… Est-ce à dire que les noirs nuages annonciateurs d’orages étaient des fantasmes d’aigris nostalgiques de la France des années d’or et que, finalement, avec un peu de volontarisme et une façon de dire et de faire différentes, le chemin de l’avenir soit pavé de roses ? Pouvons-nous espérer – ou craindre – que cette météo prometteuse rende caduques l’utilité des rebelles ?
Il appartiendra aux experts d’éclairer en profondeur et avec le recul dont nous ne disposons pas aujourd’hui, ce « renversement de tables » qui, au-delà des apparences de court terme, dépasse certainement les frontières du politique et plonge ses racines dans des terreaux complexes que nombre des jardiniers du pouvoir et de la sociologie politique n’avaient pas anticipé. Il est d’ailleurs frappant de constater que certains d’entre eux, soucieux de compenser leur incapacité à prévoir, ont tenter de reprendre la main en proposant des analyses a posteriori. Ainsi, ils ont souvent qualifié l’arrivée du macronisme et de ses différents avatars de “tsunami”, semblant omettre dans ce parallèle géologique, que la tectonique des plaques fait toujours de nombreuses victimes, souvent innocentes… Le nettoyage des disques durs et la remise à jour des logiciels risque d’être fastidieuse et douloureuse !
Au passage et sous bénéfice d’inventaire, il serait regrettable d’oublier que le nouveau pouvoir a brûlé, de justesse, la politesse à celles et ceux dont tous les faiseurs d’opinion prédisaient la victoire, malgré leurs dangereuses promesses de rendre aux citoyens leur vie meilleure, sur fond de rupture avec les principes d’une démocratie qui, malgré ses défauts, demeure, comme W. CHURCHILL avait osé le dire, “le moins mauvais des systèmes“.
UNE INCURIE AUX FACETTES MULTIPLES
Ce rappel effectué, il est possible d’identifier quelques-uns des motifs qui ont conduit les français à rompre, avec récidive, avec les élites d’hier et à manifester leur appétit pour ce qui reste une aventure. Parmi eux, et sans sombrer dans un “tous pourris” dont la démagogie a risqué de faire le lit d’un populisme suicidaire, l’incurie des dirigeants d’hier et d’avant-hier figure certainement en bonne place. Incurie aux facettes multiples, dont la volonté de se maintenir au pouvoir coûte que coûte, au prix de petits arrangements que la morale réprouve, de ne pas faire ce que l’on dit, de ne pas dire ce que l’on fait, de confondre les poches privées et celles dont le suffrage universel vous a confié la bonne gestion…En bref, de ne pas respecter le sens et les limites de leur mission : représenter et accompagner les citoyens dans la conduite de leur vie quotidienne et à venir, dans le respect de valeurs et de principes, universellement reconnus comme une invention française.
Cette explication semble, pour l’instant, aussi recevable que celle qui laisse à penser que la victoire résulterait “en même temps” de la complicité perverse et organisée de toutes les forces mondiales de l’argent et de la communication pour promouvoir un de ses agents, dissimulé sous le masque de l’avidité, et guidé par la concentration des pouvoirs entre les mains des forts pour broyer encore un peu plus celles des faibles… Si la lucidité impose d’examiner toutes les hypothèses qui ont permis cette accession inédite vers le sommet de l’Etat, le complotisme et la schizophrénie sont rarement bons conseiller et n’apporte guère de preuves convaincantes de l’existence d’une convergence aussi macabre, entre des gens qui ne cessent de se concurrencer, voire de se faire la guerre. L’époque est complexe à maîtriser, creuset de chocs où la technologie et la finance concoctent de nouvelles matières instables, présentées comme une étape inévitable vers un nouveau paradigme enfin adapté aux nécessaires mutations des frontières et cartes génétiques, identitaires et communautaires. Cette situation requiert davantage de sagesse et de sens des responsabilités que de supputations à la Cassandre.
REGENERER LES US ET COUTUMES DE LA CORRIDA SOCIO-POLITIQUE
La plupart des dirigeants de la planète, y compris ceux des plus petites de nos entités locales, ont montré, à de rares exceptions près, qu’ils ne savaient pas par quelles cornes il fallait prendre cet imprévisible et furieux taureau. Leurs talents à exécuter quelques passes dans les anciennes arènes, patiemment apprises sur les bancs des grandes écoles ou dans les coursives des partis politiques, se sont avérés stériles et ne séduisent plus.
L’émergence d’un dirigeant « multi-cartes », dont le pedigree cumule les transgressions sociales, professionnelles et culturelles, peut régénérer les us et coutumes de la corrida socio-politique. Elle laisse augurer d’un regard plus acéré sur les enjeux contemporains et d’un réalisme plus pertinent quant aux antidotes susceptibles de les affronter. A cet aune, on peut espérer que le bout de chemin accompli par le nouveau Président de la République, aux côtés de l’un des pontes d’une pensée philosophique qui a promu le dialogue constant entre l’histoire et les apports des sciences humaines et sociales, constitue un viatique prometteur. D’autant plus qu’il y a ajouté une randonnée au sein de la finance internationale et une “marche” au service de l’Etat, s’écartant volontairement de la traditionnelle étape des partis politiques. Sans omettre enfin son aisance à cheminer au cœur de la toile numérique et son attention aux risques que les promeneurs irresponsables font courir en piétinant la nature.
PAS D’HOMME PROVIDENTIEL
Fort de ce constat, on pourrait déduire que la maison France est – enfin – bien gardée et qu’elle a tous les atouts pour trouver sa – juste – place au sein du village mondial.
Ce serait aller un peu vite en besogne. Il a été fréquemment rappelé au cours des dernières campagnes électorales que, dans le domaine politique comme ailleurs, il n’existe pas d’homme providentiel. On peut être né sous un ciel clément et bénéficier du bon alignement des planètes, la réalité d’ici-bas n’en est pas pour autant changée.
La liste des risques et des dangers qui ponctuent la sinueuse marche de l’humanité vers son destin ne cessent de s’enrichir. Sur le temps long, des progrès indéniables ont été accomplis et des opportunités ne cessent d’advenir. Mais la « créativité » humaine est sans limite, y compris dans le domaine de l’inégalité, de l’intolérance, de la violence ; les excès et les folies dont nous sommes chaque jour témoin, et parfois complices, en apportent la preuve à longueur de journaux télévisés et de réseaux sociaux. Le « vivre ensemble » emblématique de la fin des grands conflits traditionnels est sans cesse et partout soumis à des menées terrifiantes, que la galopante absence de mémoire ne contribue pas à éradiquer. Nous sommes parmi les pays cruellement les mieux placés pour constater que les nouvelles formes de guerre font table rase des frontières et savent infester les moindres interstices de notre vie et de notre destin individuel et collectif ; elles se jouent de plus en plus impunément des protections et des barrières physiques et virtuelles, morales et cultuelles, mises en place, générant de nouvelles migrations, explosives car rejetées par des populations autochtones privilégiant leur « entre soi ».
LES REBELLES ONT ENCORE DU GRAIN À MOUDRE
C’est pourquoi, malgré les promesses et les espoirs nés d’une nouvelle gouvernance, la vigilance s’impose. La messe est loin d’être dite. Les cadavres de ceux qui pensaient pouvoir se partager le butin de masses assagies ou découragées bougent encore. Les auteurs et les acteurs de ce théâtre d’ombres plus ou moins innocentes ne va pas rendre les armes sous le charme et les compétences indéniables d’un seul. La belle organisation du pouvoir et son apparente bienveillance ne suffiront pas à annihiler les égoïsmes, ni à les remplacer par une soudaine appétence à l’intérêt général. Il serait en effet surprenant qu’au sein du Gouvernement, des Administrations, du Parlement, des instances économiques et sociales, du tissu associatif et des foyers de l’action culturelle… chaque membre du corps social abandonne sa zone de confort au profit de l’intérêt général. Pas plus au sein de notre communauté hexagonale que parmi celles qui nous entourent, encore moins de la part de celles qui veulent dominer les autres, au motif de mettre fin à leur soit disant barbarie propre.
Les sujets de rébellion ne manquent pas et les rebelles ont donc encore du grain à moudre. La nouveauté de la situation réside dans l’existence d’une “fenêtre de tir” favorable. Le “dégagisme” laisse le champ libre à de nouvelles formes de rebellions susceptibles de compenser la perte de confiance dont sont affectés la plupart des opposants traditionnels. De nouveaux outils sont mobilisables qui ont fait leur preuve, comme ceux qui ont rendu possible l’arrivée au pouvoir d’un profil venu d’ailleurs, à la vitesse de la lumière. En outre, la transgression ne devrait pas rebuter un spécialiste du genre. En exploitant ces opportunités, les rebelles vont peut-être contribuer à ce que le rayon de soleil de l’élection du nouveau locataire de l’Élysée réchauffe durablement l’ambiance ! Il serait plus que temps.
Patrick Boccard