Bonjour Renaud Fontanarosa, tout d’abord merci de répondre à cette interview pour Rebelles(s). Nous sommes ravis d’interviewer un artiste aussi complet : violoncelliste, acteur et clown. Derrière chacune de ces casquettes, l’humaniste qui est en vous laisse poindre le bout de son nez (rouge ?). Se fera-t-il apercevoir aujourd’hui ? En tout cas, nous l’espérons. Comme vous le savez, le dossier spécial du présent R.B.L est nommé « la fin du monde, c’est quand ? »… J’aurais donc envie de vous poser cette question, tout simplement, pour commencer cette interview.
J’espère jamais ! Mais il faut la fin d’un monde pour éviter la fin du monde. Aujourd’hui, le mépris pour l’individu s’étale sur la surface du globe comme une nouvelle peste qui n’épargne pas grand monde, je trouve en effet que la vie ne pèse plus grand-chose. C’est ce monde-là qu’il faut quitter pour éviter la fin du monde.
Pour autant nous vivons une époque où l’on parle énormément de l’individu, du développement personnel, etc.
Qu’appelle-t-on développement personnel ? Au final, si c’est pour être replié sur soi-même, ça n’a aucun intérêt !
Vous venez d’une fratrie de musiciens, comment l’amour de la musique vous est-il venu ?
La question ne s’est pas posée car on avait des parents, artistes peintres et mélomanes, qui avaient en plus des amis musiciens et donc il était normal que l’apprentissage de la musique vienne enrichir notre éducation scolaire et surtout nous aider à ouvrir quelques portes secrètes de la vie. Le choix des instruments – piano pour Frédérique, violon pour Patrice et violoncelle pour moi – a fait que le trio s’est formé naturellement. Nous avons tous trois « mis le doigt dans le pot de confiture » et même si la route reste rude, nous nous régalons depuis notre plus jeune âge, en vivant de ce métier. Donc pas de « poudre de perlimpinpin », mais des parents exceptionnellement confiants dans les racines de la vie.
Continuez-vous toujours à vous produire avec le trio Fontanarosa ?
Il se manifeste moins actuellement car nous avons tous des routes très différentes… Cependant nous avons un concert en trio dans 10 jours par exemple. Ainsi, de temps en temps, nous nous réunissons, ce qui est toujours aussi enrichissant pour les uns et les autres.
Vous avez été membre pendant plusieurs années de l’orchestre de l’Opéra de Paris. Quelle est l’importance de l’art lyrique dans votre vie ?
J’ai passé 12 années dans cet orchestre et j’ai eu le bonheur d’y découvrir de magnifiques œuvres. J’étais très peu éduqué à ce niveau-là. En fait, quand je suis entré à l’opéra, j’ai découvert tout ce répertoire magnifique : les opéras italiens, allemands et français aussi. J’ai pu être dirigé par de très grands chefs. Cela m’a permis surtout d’entendre des voix exceptionnelles, et de donner cet espace à l’expression de cette liberté qu’ont les chanteurs lyriques. Cela m’a permis aussi de chanter ma vie ! Je me souviens : quand j’ai quitté l’opéra, les copains m’ont dit que je devrais rester,
que c’était la sécurité et puis, j’ai dit non. Pour moi, la sécurité c’est de partir. La sécurité c’est d’être ce que je suis et d’aller là où je veux aller. Mais il fallait tourner la page et je suis d’ailleurs parti avec un grand bagage ; cette expérience m’a apporté énormément de choses. Le vrai risque pour moi était d’attendre ma retraite confortablement au chaud !
Cheminer dans la vie pour devenir pleinement soi-même, n’est ce pas le but de tout artiste ?
Cheminer, c’est le but de tout artiste, c’est aussi à chacun d’entre nous de le comprendre. Il faut prendre le chemin, il faut le découvrir, observer, explorer et rien ne doit être sacrifié dans notre parcours. Tout homme doit tenter de toucher ce trésor qu’il a en lui plus ou moins profondément selon son éducation parentale, scolaire et religieuse. Il ne doit pas avoir peur de découvrir et surtout de nous faire partager cette chose unique et propre à chacun de nous. C’est comme un diamant, il faut descendre à la mine et se donner parfois beaucoup de mal pour le trouver. Sauf que le résultat n’est pas un compte en banque qui va gonfler, mais un certain bonheur qui va pointer le bout de son nez (Rouge ?) Peut-être parce qu’on finit par être lassé de s’être laissé berner par des illusions alors que tout est là, en nous. Tout homme a cette poésie en lui. Il y a 7 milliards d’individus et 7 milliards de petits trésors cachés. Chaque être est exceptionnel.
Cette quête peut être douloureuse non ?
Elle est douloureuse parce que les gens sont emprisonnés dans des images, des cases qu’on leur a indiquées. En ce qui me concerne, je suis quelqu’un qui n’est pas classable en regard de mes différentes passions, ce qui est d’ailleurs assez gênant dans une carrière d’artiste. Le clown apparaît alors pour dire tout haut des choses que la musique ne peut pas exprimer. Parfois il faut vraiment prendre la parole, et montrer des situations absurdes.
Aujourd’hui quelle est la place des artistes dans nos sociétés. Ont-ils été parfois des prophètes des temps modernes ? Peut-être un peu trop…
Il y a celui qui « fait l’artiste », celui-là, je n’en parlerai pas. Il y a l’autre, celui qui va partager cette chose unique qu’il est allé puiser au fond de lui et qui est commun à tout un chacun. On le reconnaît vite car ce qu’il partage est universel mais s’adresse étrangement à vous seul, à ce qu’il y a de plus intime. Je pense qu’un individu venant écouter un artiste sur scène par exemple, est ému parce que ce que lui dit l’artiste, il a l’impression que c’est pour lui tout seul. Mais l’artiste vient dire : « n’ayez pas peur vous êtes un trésor, je suis le miroir de ce qui vit au fond de vous ». C’est à ce niveau-là que l’artiste est unique, c’est pour ça que c’est une aventure sans fin. L’artiste est indispensable pour redonner valeur à ce que certains tentent de détruire pour mieux être suivi.
Quel est donc selon vous le véritable rôle de l’artiste ?
C’est de redonner confiance à l’individu pour qu’il n’ait plus peur de lui-même et qu’il puisse ainsi reconnaître ce qu’il y a de plus important en lui.
Vous êtes aussi Clown. Vous avez fait un spectacle nommé « Ainsi sois Là », comment cela est-il venu ?
J’avais une amie – Agnès Constantinoff – qui avait fait l’école Lecoq, fameuse école de comédien ou l’on aborde le clown, le mime, le masque, l’acrobatie, enfin toutes les bases du théâtre. Du coup, quand elle a donné des cours de clown ça m’a tenté car je me suis dit « tiens, c’est aller vraiment au fond des choses » parce que pour que le clown fonctionne, il faut vraiment être ce que l’on est. Le clown ne peut pas tricher. C’est vraiment le jaillissement de l’enfance et de la naïveté. Donc j’ai pris des cours et puis ça a débouché sur des spectacles qu’on a fait avec notre petite troupe. Ensuite j’ai monté des spectacles par moi-même. Le premier c’était « Par Si par Là », on retrouve bien le Si, la note musicale et le Là, L – a accent aigu et le deuxième « A la quête du La » donc c’est aussi le La musical mais c’est aussi être là. Donc ces 2 spectacles je les ai montés avec ma sœur Frédérique où l’on mettait en scène le clown et la musique, mais le clown servant la musique, bien sûr, pas le contraire. Ensuite, il y a eu « Ainsi sois Là ». Vous l’aurez compris, être là pour moi c’est une grande nécessité pour comprendre quelque chose à tout ce fouillis qu’on nous propose. Le clown peut paraître subversif au regard des hommes scrupuleux de bien suivre les voies que certains tracent « pour leur bien ». Le clown ne l’est pas, le clown c’est la spontanéité et la fraîcheur d’un enfant. Sa conscience le place sur un autre terrain de jeu, celui ou le sens du mot liberté prend toute sa clarté.
Quel est son rôle profond ?
Le clown n’est pas un pitre. C’est quelqu’un qui se dévoile sans se censurer et qui a une totale confiance en ce qui va jaillir de lui. Il n’est jamais vulgaire et sans aucune méchanceté. Et surtout il se moque beaucoup, mais énormément de lui-même. Il se moque de sa nature pleine de défauts et de ses rares qualités. C’est au final un être « humain », c’est la tolérance incarnée et la liberté assurée ! On a tous ça en soi. Si on lui dit : « bats-toi ! », lui préfère apprivoiser l’autre ; si on lui dit : « accroche-toi ! », lui préfère lâcher prise ; si on lui dit : « fais un effort ! », lui se détend et enfin si on lui dit : « dépasse-toi ! », il répondra « Ah oui ? Et si tu essayais déjà d’être là, tu devrais déjà réfléchir à ce que tu aimerais dépasser ».
Pensez-vous que le clown puisse y arriver dans le monde actuel ?
Il faut qu’il se fasse entendre et ensuite les portes qui s’ouvrent ou qui ne s’ouvrent pas ce n’est pas son domaine. Si on prend l’exemple de la télévision, j’ai vu des émissions avec des comiques qui avaient un énorme talent au départ et tout à coup il faut obéir, être complaisant avec un certain public ou un certain producteur, donc il faut écrire pour ce public-là et, à partir de là, c’est foutu !
Votre parcours vous a même mené à jouer dans « Les Quatre Cents Coups » et « La mariée était en noir » de François Truffaut. Pouvez-vous nous raconter ?
Cette expérience, c’est ce qui m’a fait goûter au métier d’acteur. C’était une amie, Michèle Méritz, qui était une comédienne et proche de François Truffaut qui m’a présenté à lui quand il cherchait des écoliers pour son film « Les 400 coups ». J’avais 12 ans et j’ai passé des auditions pour ce qu’on appelle de la figuration intelligente, c’est-à-dire pour des petits rôles avec textes qui apparaissent dans le film. Et il se trouve que 10 ans plus tard il m’a demandé de jouer une scène musicale dans « La mariée était en noir ». Avec ma sœur Frédérique ils nous ont demandé de jouer une pièce de musique qui venait accompagner une scène avec Jeanne Moreau et Michel Bouquet. Quant à François Truffaut, en dehors de son talent, l’extrême gentillesse de l’homme et son respect pour son équipe et ses comédiens m’ont frappé. C’était exceptionnel, son calme, sa tranquillité, sa voix très douce. Ça m’a donné le goût du Théâtre. J’ai donc fait des choses dans ce sens. Et puis, par la duite, le clown, et puis… on verra ce que ça donnera plus tard ! En conclusion, je suis toujours prêt pour de nouvelles aventures !
Interview de Jonathan Lévy-Bencheton