– Oh non, ce n’est pas possible !
Mais où avais-je la tête ? Ce n’est pas vrai… Me voilà enfermé dehors !
Le couvercle de mon cercueil vient de se refermer, et j’ai laissé tomber mes clés dedans, comme un idiot. C’est la première fois que cela m’arrive… J’essaie de l’ouvrir en glissant mes doigts entre le coffre et le rebord du couvercle, et en appliquant des petites secousses, pour tenter de débloquer le loquet ; tout en sachant parfaitement que cela ne marchera pas, sinon, à quoi serviraient les verrous ? J’insiste quand même un peu… Rien à faire, il refuse de s’ouvrir. Je me redresse, pose les mains sur mes hanches, et balaye le caveau des yeux, pour trouver une solution qui aurait par exemple la forme d’un objet métallique et crochu. Evidemment, je ne trouve rien de tel ; que des cercueils fermés, et déjà occupés. Je tourne autour du mien en le scrutant, essayant encore et encore de soulever le capot en attaquant sous différents angles. Mais sans surprise, cela ne marche toujours pas.
Je m’approche du cercueil du vieux Barnabé, et j’y colle l’oreille. Ça n’a pas l’air de bouger beaucoup là-dedans. Il doit dormir. En même temps, je ne l’ai pas vu sortir cette nuit. Je pense qu’il a dû la passer là, à se reposer. J’hésite à frapper pour lui demander de l’aide. Il aura peut-être une idée brillante à laquelle je n’aurais pas pensé, bien que cela m’étonnerait beaucoup. J’approche ma main pour frapper sur son coffre. Mais j’hésite. Il va être fâché si je le réveille. Je décide finalement de gratter tout doucement.
– Barnabé ? Tu m’entends ?
Evidemment, il ne m’entend pas. Ce vieux vampire à plus de 250 ans… Ses vieilles oreilles pointues ne sont plus du tout à leur potentiel originel, et la touffe de poil que chacune d’entre elle arbore fièrement ne doit pas aider le son de mes grattements à parvenir jusqu’à son vieux cerveau.
Je me retourne alors vers mon coffre et essaye de l’ouvrir une nouvelle fois, avec un peu plus d’engagement. Mais rien à faire, il reste fermé. En même temps, j’avais justement choisi ce cercueil pour son inviolabilité. J’étais tellement fier lors de son acquisition ! Un modèle des plus récents sur le marché. Si j’avais su qu’un jour, enfin qu’une nuit, je resterais enfermé à l’extérieur… En même temps, a-t-on idée de laisser tomber ses clés dedans et de refermer le couvercle, fusse par accident ? J’ai envie de hurler, mais bon, je me ressaisie et ne le fais pas. C’est bien trop vulgaire. Seuls les zombis ou les loups-garous se prêtent à de telles familiarités. Nous les vampires, nous sommes quand même un peu plus classieux.
J’aperçois alors la lueur du jour poindre à travers la porte du caveau. Je commence à être pris de panique. Nous les vampires, ne supportons pas la lumière du soleil. Elle pourrait nous détruire par liquéfaction spontanée, enfin à ce qu’on m’a dit. A vrai dire, je n’ai jamais essayé. En même temps, qui aurait envie d’essayer, juste pour voir, si quelque chose peut vous tuer par liquéfaction. Je suis quand même un vampire raisonnable… La lumière se fait de plus en plus présente, se faufilant maintenant sous la porte et par les entrebâillements. Il faut vite que je trouve une solution, et tout de suite, il en va de ma liquéfaction !
J’essaye d’ouvrir mon cercueil avec plus de vigueur, rien à faire ! Il ne cède pas. Je modère quand même ma force, ne voulant pas casser le verrou. Un si beau cercueil tout neuf, ce serait dommage… Je retourne vers le coffre de Barnabé, et cette fois ci, je le martèle du poing.
– Barnabé ! Ouvre-moi s’il te plait, je suis coincé hors de mon cercueil ! Une voix sourde se fait alors entendre.
– Que veux–tu que j’y fasse ! Bougonne-t-il. Tu vois bien que le mien est un modèle une place…
– Aide moi je t’en prie, le jour se lève, je risque la liquéfaction ! J’entends alors ce vieux bougre étouffer un rire, puis il me dit :
– Il ne faut pas croire tout ce que l’on te dit, parce que ceux qui te l’on dit, pour que tu y crois, avaient certainement une bonne raison de te le faire croire ! Aller, va ! Et arrête de tambouriner sur mon cercueil, tu vas l’abîmer. Tu trouveras sans mal un serrurier dehors, il te fera ça pour trois fois rien, et avec un tarif de jour en plus, estime-toi heureux. Là, il se remit à rire.
Soudain, la porte du caveau s’ouvre en grinçant, inondant la petite pièce d’une lumière vive qui m’agresse les yeux. Je distingue péniblement une silhouette sur le pas de la porte, une vieille ombre courbée, maigre, avec de longs doigts osseux. Je prends d’abord l’intrus pour un voisin zombie, je sais qu’il y en a quelques–uns ici au Père Lachaise, je les ai déjà croisés. L’ombre semble toute aussi surprise que moi de moi voir à genoux, les mains posées sur le cercueil de Barnabé. C’est un humain, je le vois tout de suite à sa voix et à son odeur. Impossible de se tromper.
– Mais que faites–vous là monsieur ? Me demande la silhouette.
– Moi ? Heu… Je suis venu me recueillir ici hier soir sur la tombe de mon oncle, monsieur Barnabé Vallois, et… J’ai dû m’assoupir.
J’entends alors le vieux vampire retenir un rire dans son cercueil. Je me lève alors, vexé, mais surpris de voir que mes jambes me portent, et qu’aucun processus de liquéfaction ne semble avoir commencé.
– Il faut partir monsieur, me dit l’humain. Je dois nettoyer le caveau ce matin, tant qu’il ne fait pas encore trop chaud.
– Il était temps que tu le nettoies, pensais-je. Les feuilles mortes et les mégots de cigarettes des visiteurs satanistes nocturnes commençaient à franchement s’accumuler ici. Je souris au vieil homme, avant de le contourner, et de me diriger vers l’extérieur, quelque peu angoissé.
– Faites, faites, je vous en prie, lui répondis-je, en lui adressant un sourire crispé. Il s’enfonce dans le caveau, armé de son balai et d’une pelle métallique, une cigarette jaunâtre au bec. Son odeur est pestilentielle. Il sent le tabac froid, l’alcool pas cher et la transpiration humaine. Nous les vampires, avons le sens de l’odorat beaucoup trop développé pour vivre au quotidien avec les humains. Ils sont sales, vulgaires, en plus d’être prétentieux.
De fait, je me retrouve dehors en pleine lumière du jour, dans les allées du cimetière, à ne pas trop savoir où aller. L’impact des rayons du soleil sur mon visage me procure une sensation nouvelle, très agréable. Ils me donnent une sensation de chaleur très douce, que je n’avais jamais connue. Serait-ce un dernier plaisir sournois juste avant une mort insoutenable, pour la rendre plus douce ? Je regarde à nouveau mes mains, mes jambes. Rien ne se passe. Peut-être suis-je immunisé contre les effets néfastes des photons solaires. En tout cas il doit y avoir une explication, c’est certain. Peut–être que la dégénérescence de mon organisme arrivera plus tard. Cette idée me terrorise, et machinalement, je me dirige à pas rapide vers l’ombre d’un grand platane. Je m’assoie alors sur un banc, un peu décontenancé par ce que je suis en train de vivre. Je tends mes bras, droit devant moi, je les regarde. Toujours rien. Bon… Quoi qu’il en soit, je ne vais pas rester toute la journée assis sur ce banc, en attendant que je me liquéfie. Je décide de marcher un peu dans les allées du Père Lachaise.
Après une bonne demi-heure de marche, je me décide à sortir du cimetière, et d’aller me réfugier au « Bloody Mary », le bar tenu par Franky, un vampire bien intégré à la société diurne. Il est à trois pâtés de maisons d’ici, il me faut à peine quelques minutes pour l’atteindre. Je pousse la porte, et pénètre à l’intérieur. Il y a déjà pas mal de clients. La salle est sombre, bruyante, rassurante. J’approche du bar à pas lents, et Franky me dévisage en me voyant arriver.
– Je rêve ? Que fais–tu ici à cette heure–ci ? Me dit-il.
– Tu vas rire… J’ai laissé tomber mes clés dans mon… Enfin tu vois, et je me suis retrouvé enfermé dehors. Du coup, impossible de l’ouvrir. Et là, le… « Concierge » est arrivé, et j’ai dû sortir. Mais je dois être immunisé contre les rayons du soleil, regarde mes mains… Il ne se passe rien. En tout cas pas pour le moment.
Franky sourit, et se retourne vers ses boissons. Il m’apporte un verre vide qu’il pose bruyamment sur le comptoir, puis se baisse pour attraper une bouteille. Il l’ouvre et rempli le verre posé devant moi d’une boisson rouge vif.
– Tiens, bois ça. Boisson spéciale pour clients spéciaux… Et arrête de croire tout ce que racontent les gars de la Confrérie. Tu vois, moi, ça fait bien longtemps que j’ai compris qu’il y avait des trucs pas clairs dans leurs histoires. Il prononce ces derniers mots à voix basse.
Je me saisis du verre, en bois une gorgée, quand je sens un regard posé sur moi avec insistance. Je pivote légèrement sur ma droite, et effectivement, une jeune femme me scrute de l’autre côté du bar. Elle me sourit. Là, je remarque ses canines saillantes, et plus effilées que des canines humaines. Rassuré, je lui souris en retour. Elle interprète mon geste de politesse comme une invitation à me rejoindre car, sans hésiter, elle prend son verre et vient s’installer juste à côté de moi.
– Bonjour, moi c’est Mikka, me dit-elle en me tendant sa main.
– Enchanté Mikka… Lui répondis-je en lui serrant la main. Je suis Augustin. Sa main est bien chaude pour être l’une des nôtres… Mais j’ai un doute… Elle n’est forcément pas humaine : ses traits sont trop fins, et son odeur pas assez grossière.
– Je peux ? Me dit–elle en prenant mon verre, et en accompagnant sa demande d’un léger clin d’œil.
Sans attendre ma réponse, elle porte ma boisson à ses lèvres, et son visage se tord d’une belle grimace.
– Mais c’est… Du jus de cerise ! Vous n’êtes pas un…
– Si si, lui dis-je en souriant. J’ajoute en chuchotant : mais voyez-vous, j’ai une sorte d’anomalie génétique depuis ma naissance… Je suis allergique à l’hémoglobine.
– Allergique à l’hémoglobine ? Vous êtes un drôle de Vampire vous ! Pour une fois que je parle à l’un des vôtres, je tombe sur The vampire non-buveur de sang ! La guigne…
– L’un des vôtres ? Comment ça l’un des vôtres ? Vous n’êtes pas…
– Non, du tout. Elle s’approche de mon oreille et me chuchote : je suis une louve-garou.
Puis, elle recule son visage en souriant. Je me suis trompé. Elle n’est pas une vampire, mais une louve-garou. Une louve-garou… Je n’aurai jamais pensé que cela existait. Je regarde son visage avec plus d’attention. Effectivement ses canines sont légèrement plus longues et plus grosses, et ses oreilles taillées en pointe tel celles d’une elfe. Je comprends mieux la chaleur de sa main. Une louve- garou, ça sonne drôle… Mais en y réfléchissant un peu, c’est normal qu’ils aient aussi des femelles dans leur espèce. Sinon, comment feraient-ils ? Bref…
– Vous n’avez jamais vu de louve-garou je suis sûre ? Me dit-elle en souriant exagérément. Effectivement, je n’en avais jamais vu, étant donné qu’il s’agit d’une espèce majoritairement diurne, sauf les nuits de pleine lune évidemment.
– Parce que moi, ajoute-t-elle, c’est la première fois que j’ai la chance de tomber sur un vampire à cette heure avancée du jour. Et comme je suis curieuse, j’ai plein de questions à vous poser… Cette idée ne me ravit pas tout à fait.
– Mais dites-moi, comment se fait-il que je sois le premier vampire que vous rencontriez ? Lors de vos sorties en meutes bruyantes, vous savez, à la pleine lune, vous n’êtes jamais tombée sur un des miens ?
– Le truc, me dit-elle, c’est que pour les louves garous, nos petites « modifications anatomiques » n’ont pas lieu lors des pleines lunes. C’est uniquement l’apanage des mâles. Nous, c’est lors des éclipses solaires, donc beaucoup moins fréquemment.
Je manque de peu de pouffer de rire, et d’avaler mon jus de cerise de travers.
– Ah tiens, vous m’apprenez un truc. Vous êtes bien compliquées dites-moi… Ma réplique que je reconnais un peu dédaigneuse n’altère pas son sourire permanent et son enthousiasme affiché à l’idée de me parler.
– Compliquées… ça dépend pour qui. Alors, je peux vous poser quelques questions ? Puis sans attendre ma réponse, elle enchaîne :
– Je vous avoue que je suis un peu déçue. Dans mon imaginaire, un vampire était un être forcément grand, pâle mais ça vous l’êtes, vêtu de noir, les cheveux gominés et tirés en arrière et..
– Et avec une cape à haut col non ? Je ris de bon cœur. Vous avez un peu trop lu Bram Stoker… Dracula et compagnie ! Regardez, je bois dans un verre, pas dans une carotide !
Elle baisse les yeux en souriant.
– Oui, j’avoue, c’est vrai, c’est l’image que j’en ai. Mais dites-moi, il a vraiment existé ce Comte Dracula ?
– Oui, bien sûr. Mais il n’a jamais été Comte. C’est surtout un businessman aguerrit, avec un sens aiguisé du marketing. Il a fait ami-ami avec Stoker, qui lui est bien humain. Et en échange de quelques secrets sur notre Confrérie, il est devenu la star des Vampires ! Une star planétaire. Mais ça lui a valu quelques soucis juridiques avec les nôtres.
– Vous voulez dire que toutes ces histoires, c’est que du flan ? Par exemple, l’ail ou le pieu dans le cœur, c’est vrai ?
Je la regarde fixement d’un air affligé. Je finis par lui dire :
– Dites-moi Mikka, si demain je vous plante un pieu dans le cœur à grands coups de maillet, vous pensez survivre ?
– Effectivement, dit comme ça… Donc vous n’êtes pas non plus des morts-vivants qui revenez de l’au-delà, du coup ?
– Non, non plus. Ça ce sont les zombies. Nous, nous ne faisons qu’occuper des cercueils, en les vidant de leur propriétaire. D’où la confusion… Certains maladroits se sont fait prendre par des humains alors qu’ils allaient se coucher, ou qu’ils se réveillaient, et par conséquent, on les a pris pour des revenants. Mais cette rumeur nous a bien arrangés à une époque. On nous a demandé d’essayer de choisir des cercueils de défunts ayant la même morphologie ou corpulence que nous, pour crédibiliser la thèse du revenant. Vous savez, la nuit, tous les chats sont gris. Et au moins, on avait la paix.
– Ok, pas idiot. Mais alors, vous, que faites–vous là ?
– Pfff, moi ? J’ai laissé tomber mes clés dans mon cercueil, et je me suis retrouvé enfermé dehors. J’ai essayé d’ouvrir le couvercle, sans y parvenir. Et le gardien du cimetière est arrivé à ce moment–là pour nettoyer le caveau. J’ai dû sortir, pour ne pas éveiller ses soupçons. Et vous savez, on a une règle, on ne déloge jamais un confrère, ni un défunt sans prévenir la confrérie. Par contre au lever du soleil, tout cercueil laissé vide est considéré comme disponible. D’où les verrous. La Confrérie prend en charge les dépouilles des humains avant l’occupation par le nouveau locataire, ils les enregistrent, et ils stockent les corps. Moi j’habite au Père Lachaise, juste là.
– Je suis surprise, vous êtes super bien organisés !
– Vous savez, ça fait un moment que ça dure. Une fois, un de nos lieux de stockage a été découvert, vous avez entendu parler de l’ossuaire de Paris ? Les catacombes, à Denfert Rochereau ?
– Non, ne me dites pas que…
– Si si. Mais là, depuis les exhumations liées aux enquêtes de police scientifique, on a de nouveau des soucis. C’est très tendance chez les humains d’aller déterrer leurs morts, pour des analyses ADN. Alors, quand on a l’info, ça va, on se débrouille. Mais bon, on ne l’a pas toujours…
Je sors mon smartphone de ma poche et je lance l’application UberVamp.
– Qu’est–ce que c’est ? Me demande Mikka.
– C’est UberVamp. Je dois trouver un Vampire Diurne qui puisse me crocheter mon cercueil, je n’en peux plus là, je suis fatigué, il faut que je me couche. Service dépannage de jour, ça va me coûter un bras…
– Je vais vous aider. En tout cas je peux essayer. Je ne me débrouille pas trop mal en crochetage. Vous me laisser tenter ?
– De toute façon, je n’ai rien à perdre… Allons-y.
Je règle nos boissons et nous marchons vers le cimetière du Père Lachaise. J’ai moi aussi plein de questions à lui poser sur les loups (et louves) garous, mais je n’ose pas. Je n’ai pas sa facilité à interroger des inconnus. Arrivés au Père Lachaise, je guide Mikka vers le caveau où je loge. Elle passe devant en éclaireuse, pour voir si l’humain est toujours là. Elle me fait signe de venir, la voie est libre.
J’entre dans le caveau, et constate qu’il est toujours aussi sale. Le balai et la pelle métallique du vieil homme sont toujours là, ce qui m’angoisse un peu.
– Il est sûrement parti pour revenir, il a laissé son matériel ici… Il faut se dépêcher !
Mikka ne perd pas une seconde. Elle s’accroupit et tire une épingle à cheveux de son chignon. Elle commence alors un combat minutieux et patient contre le verrou. Enfin, nous entendons un léger cliquetis, annonciateur d’une bonne nouvelle. Elle tourne la tête vers moi, me regarde en souriant, dévoilant ses belles canines pointues, et me lâche un « bingo » de satisfaction.
J’approche de mon cercueil en la remerciant chaleureusement. J’ouvre le couvercle.
Là je découvre le corps du gardien allongé à ma place, les bras en croix sur le torse. Ses yeux s’ouvrent alors en grand, et sans sourire, il nous envoie au visage :
– C’est occupé ! Il était vide au lever du jour, j’ai donc le droit d’être ici. Merci !
Puis, il nous claque la porte au nez.