Le Glam Rock se nourrit abondamment d’images outrancières, de rêves improbables et on peut même dire qu’il a fait de la démesure son fonds de commerce. C’est pourquoi ses plus grands acteurs, T. Rex, David Bowie, Roxy Music, etc. soignent énormément leur apparence. Elle devient un élément essentiel de leur art. Par conséquent, il a été très tentant dès le début pour le show biz britannique de créer de simples copies manufacturées par l’image mais sans substance. Même les stars conventionnelles se sont mises à l’époque à s’habiller Glam. La plus grande insulte journalistique qu’on pouvait envoyer à un artiste c’est qu’il n’a que son image et que sa musique n’a pas d’âme. C’était cruel mais parfois justifié, surtout pour les copies manufacturées dont je parlais plus haut. Par contre, c’est également devenu un raccourci médiatique commode pour démolir un artiste que l’on n’aime pas et là, la notion de justice disparaît.
Qui étaient vraiment les Sweet ?
Parmi les groupes injustement accusés de superficialité à l’époque, le groupe The Sweet était en tête de ligne. Notez bien que ni le groupe ni ses fans ne s’en préoccupaient et pour cause : qu’importe les diatribes de quelques journalistes jaloux alors que chaque single du groupe remporte le succès, que sa cohorte de fans fidèles ne cesse de grossir et qu’il fait salle comble à chaque fois ? Le Dieu du Glam Rock reconnaît les siens. Qui plus est, la qualité est au rendez-vous. Tout d’abord, ils étaient tous les quatre de très bons chanteurs, ce qui leur permettait de produire, même sur scène, de complexes harmonies à quatre voix. Mick Tucker, leur batteur, fait partie des meilleurs batteurs de Glam Rock avec Sandy West des Runaways. Sa technicité et sa prestation scénique en font un grand parmi les grands de la batterie. Brian Connolly est un chanteur remarquable, au registre étendu et au jeu de scène original. Leur guitariste, Andy Scott n’a rien à envier aux guitaristes de l’époque. Il a même une qualité rare pour un guitariste des 70’s : il sait être à sa place, dans le groupe, plutôt que de se mettre constamment en avant. Leur bassiste, Steve Priest, tout en assumant parfaitement son rôle, est capable de solos débridés. Il aura également une fonction dans chaque chanson : chanter seul au moins un vers de la chanson en prenant une attitude de “folle”.
Car l’une des marques de fabrique scénique de Sweet est l’outrance. Là où les autres acteurs du Glam Rock vont se contenter de maquillages discrets et de simples vêtements aux couleurs chatoyantes, The Sweet va faire dans l’attaque frontale et dans « the outrage ». Sans s’appesantir sur le sujet, qui n’est qu’une question de forme, on peut imaginer que l’Anglais moyen de l’époque les prenait pour de pauvres travestis vulgaires et dégénérés. L’adulte devait détester. Alors bien sûr, les gamins adoraient. Le plus drôle dans cette histoire, et on ne l’apprendra qu’à la parution de l’autobiographie de Steve Priest en 1994, c’est que tous les membres de The Sweet étaient de purs hétéros. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour promouvoir son art !
Parcours
Après des débuts assez pops, The Sweet prends la route qui le mènera au succès avec Wig-Wam Bam :
Mais c’est avec Blockbuster que le succès arrive vraiment début 1973. Bâtie sur un riff typique de Rythm ‘n’ Blues que réutilisera David Bowie dans The Jean Genie, la chanson devient vite un hymne et déferle sur les hits parades européens. Tous les ingrédients du son Sweet sont là : choeurs monumentaux, batterie implacable, riff de guitare inoubliable, le tout survolé par la voix envoûtante de Brian Connolly. Et bien sûr la petite phrase de « folle » de Steve Priest. Vous apercevrez d’ailleurs une zone de flou sur le bras gauche du bassiste. Trouvant que son uniforme avec casque à pointe n’était pas encore assez « shocking », il s’était mis un brassard nazi avec croix gammée. Bien sûr, les techniciens de la BBC ne s’en sont aperçu qu’un fois le groupe reparti et comme il n’était pas question d’annuler la programmation d’une chanson de Sweet, ils ont caché la chose du mieux qu’ils ont pu. Du Steve Priest tout craché ! Inutile de dire que la chose a fait controverse, d’autant plus que dans une autre version de la chanson, le bassiste arborait aussi une moustache à la Hitler. Quand on l’interrogera sur le sujet en 2010, Steve Priest dira : « Je suis encore étonné que tant de gens se souviennent de ce qui n’était qu’un artifice de scène pour attirer l’attention et aussi rigoler entre nous. Comment a-t-on pu prendre ça au sérieux ? Je veux dire : un Hitler gay ? Hello ? Y’a quelqu’un ? » (Rires).
Le clip :
Des bosseurs !
Pour ceux que ça intéresse, un reportage, malheureusement en Anglais non sous-titré, sur le making-off du clip avec quelques passages de leur concert au Rainbow en 1973. On y voit que les Sweet sont loin d’être des imbéciles, qu’ils ont une parfaite conscience de l’impact qu’ils veulent créer, de ce qu’ils veulent faire de leur musique et qu’ils sont des bosseurs, n’hésitant pas à passer une journée en préparation pour un simple clip de trois minutes :
Hell Raiser mets particulièrement en avant ce qui fait la particularité de Sweet : c’est un groupe très influencé par le Hard Rock. Les riffs de guitare saignants sur fond de vrombissement de basse et de batterie exubérante s’allient à des vocaux à quatre voix de qualité et hauts perchés. Ils ont beaucoup écouté Led Zeppelin et Jeff Beck, c’est sûr, mais également les Beatles. Leur alchimie de cet ensemble d’influences leur donne une particularité intéressante :
La consécration
Mais c’est avec The Ballroom Blitz qu’ils vont définitivement s’imposer comme un groupe incontournable du Glam Rock. Tous les ingrédients fétiches de Sweet sont là avec en plus une batterie omniprésente qui a dû faire rêver bien des batteurs débutants à l’époque. Plusieurs prestations TV de ce morceau sont mémorables. Plutôt que de choisir, je les ai toutes mises :
Rock ‘n’ Roll Disgrace, simple face B du précédent, est détonnant également:
Teenage Rampage est un autre morceau fort de cette époque, un message du groupe à ses fans.
Autre morceau remarquable, Action, un an avant A Night At The Opera de Queen, nous plonge dans les délices des chœurs monumentaux sur fond de Hard Rock :
Vers d’autres cieux
En 1975, le Glam Rock étant en train de disparaître, les Sweet vont se détourner petit à petit des hits de trois minutes pour se consacrer à ce qui les fait vraiment vibrer : une musique plus libre dans la forme, permettant plus d’expérimentations, tout en restant ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être : des hard rockers.
Une chanson qui aurait pu constituer leurs adieux au Glam Rock, You’re Not Wrong For Loving Me, où ils démontrent leurs aptitudes vocales :