Un entretien avec Monsieur Univers ?! Un costaud des biscotos dans les pages de Rebelle(s) ?…
Nous avons rencontré Frédéric Mompo, formateur, entraîneur, athlète de compétition. Dans cet ordre. C’est ce qui, à ses yeux, le définit. Il pratique le culturisme, cette discipline qui réunit la performance sportive et le show à l’américaine, sur les planches des grandes salles de spectacle de New-York, Miami ou Las Vegas. Sous les projecteurs et les flashs des photographes, débauche d’écorchés dans des poses étudiées. Comme dans les encyclopédies médicales, mais mobiles, en trois dimensions et avec le sourire. L’âge baroque au temps de la viralité. Héraclès vivant.
L’acteur Arnold Schwarzenegger a popularisé ce sport qu’est le culturisme. Par son charisme, son humour, il nous a fait regarder les muscles saillants et volumineux avec moins de sarcasme. Soyons honnêtes, le sarcastique, le coincé du zygomatique, c’est le boursouflé du bulbe regrettant de ne pas disposer de moyens aussi avantageux sur la plage qu’à la Sorbonne. En effet, nous, pauvres humains ordinaires, ne pouvons compter que sur nos neurones pour attirer l’attention. Et encore. Pas avare d’autodérision, le plus connu des culturistes qu’est Schwarzenegger fut protéiforme au cinéma, faisant subir à son corps des transformations terrifiantes ou burlesques : Grand dadais dans Jumeaux, robotisé dans Terminator, avatar de dame énorme dans Total Recall, en pleine grossesse dans Junior… Au-delà des salles de musculation, l’homme de spectacle a fait sur la pellicule la démonstration de la plasticité des chairs, exagérant leurs capacités, poussant la métaphore au-delà de l’esthétique seule. Offrant par là-même dans le conte plein d’ironie un miroir déformant à nos phantasmes. L’Homme ne peut-il pas tout, n’a-t-il pas droit à tout ? En ces temps où des milliardaires démiurges tentent d’imposer le transhumanisme, il est bon que les artistes nous ramènent sur terre.
Dans le monde réel qui n’est pas du cinéma mais raconte quand même une histoire du corps, qu’est-ce donc que cette capacité qu’ont certains individus hors normes de sculpter longuement et dans la douleur ce qui nous tient à tous de maison marchante, cette enveloppe qui nous distingue, qui nous abrite, qui nous enferme ? Nous avons posé la question à Frédéric Mompo. Si l’Autrichien-Américain Arnold Schwarzenegger fut cinq fois Monsieur Univers, le Français Frédéric Mompo le fut deux fois, en toutes catégories, et cinq fois champion du monde. On l’aura compris, il est un expert du sujet, un athlète de très haut niveau. Nous l’avons interviewé sur la passion de l’effort et la souffrance du corps, interrogé le regard qu’il porte sur son métier et sur la vie.
Rebelle(s) – Qui êtes-vous, Frédéric Mompo ?
Frédéric Mompo – Je suis sympathique ! (sourire)
J’aime mélanger amours, passion, métier. Je fais des choses que j’aime, que j’ai toujours aimées. Des choses que j’ai découvertes très jeune. Les choses sont venues naturellement, je n’ai pas forcé le destin. L’enseignement, d’abord. Réunir des gens très différents, par leur origine sociale, leur religion, leur âge, dans la passion du sport, dans une même envie. J’ai commencé par la « force athlétique », un sport d’une grande rigueur. M’y engager était pour moi le moyen de faire prendre conscience aux autres de l’importance de l’alimentation, de l’organisation du temps, de la douceur nécessaire qu’on doit prodiguer à son propre corps. J’ai cherché pendant tant d’années l’expertise du mouvement, le détail qui fait la différence. Mais je ne suis pas le seul. Le cuisinier star, le meilleur ouvrier de France, le champion du monde des tartes aux pommes ont les mêmes exigences que moi.
Rebelle(s) – Pensez-vous que ce soit la passion qui rassemble ceux arrivés au sommet de leur art ?
FM – Oui, il y a tellement de temps à y consacrer et de compétence à mettre en place. Pour sortir du lot, il faut du travail, et pour effectuer ce travail, il faut être passionné. C’est trop dur, sinon. A ce niveau de rigueur – dans l’alimentation, l’effort physique, le temps dévolu – c’est une ascèse. Permanente, tout le long de l’année, sans pause. Et pour les compétitions, afin d’être sec, littéralement déshydraté comme il est nécessaire de l’être pour n’avoir que la peau sur le muscle, il faut en plus s’infliger des restrictions physiquement douloureuses au cours des semaines précédant les jours de performance. Avec le recul sur ces années, ces dizaines d’années, je me demande quand même comment j’ai pu être aussi déterminé…
Rebelle(s) – Combien avez-vous fait de compétitions chaque année ?
FM – Cinq à six par an, plus les grands prix, plus les championnats du monde. En fait je ne les ai pas comptées, je me disais à chaque fois que c’était la dernière. L’avant-dernière, j’ai été sélectionné dans la catégorie Jeunes et dans celle des plus de cinquante ans. Le niveau est de plus en plus élevé chez les Jeunes. J’ai fini dixième chez les Jeunes et second dans ma catégorie d’âge.
Rebelle(s) – A quel âge ?
FM – Cinquante-six ans.
Rebelle(s) – Vous avez eu des références dans votre jeunesse, en matière de culturisme ? Des personnes à admirer, à imiter ?
FM – J’ai été influencé par Sylvester Stallone, quand est sorti Rocky III, en 1982. A seize ans, je sortais d’un accident de moto qui m’avait emporté le pied gauche. Le chirurgien a dû tout recoudre, vaisseaux et nerfs, tendons, un à un. Je devrais dire les chirurgiens, parce que ça s’est mal passé au début. En tout sept opérations, avec une gangrène à stopper. J’allais dans un caisson hyperbare tous les jours afin de réoxygéner mon sang, pour détruire les bactéries. En tout deux ans. J’avais un besoin vital de dépasser cette épreuve, de ne pas rester le handicapé que me promettait mon état. Je me suis renseigné sur les méthodes d’entraînement et j’ai découvert la « salle de muscu ».
Rebelle(s) – Vous avez commencé par la « force athlétique » ? Est-ce la même discipline que l’haltérophilie ?
FM – J’ai commencé la compétition à vingt-trois ans. Je me suis investi tout de suite dans la fédération. Elle rassemble les trois disciplines : « l’haltérophilie » regroupant tous les mouvements olympiques, la « force athlétique » qui comprend la flexion sur jambes, le développé couché et le soulevé de terre – les mouvements y sont d’une plus faible amplitude qui permet de soulever les poids les plus élevés – et enfin le « culturisme ». J’ai été champion de France dans ma discipline de force athlétique avec 252 kg à la flexion sur jambes. Il y avait des compétiteurs beaucoup plus doués que moi, mais j’avais un maître remarquable. Un jour, Marc Vouillot qui était l’entraîneur de force athlétique de l’équipe de France m’a mis au défi de réussir une compétition de culturisme. Je m’y suis présenté mais il n’est même pas venu me voir ! Je me suis senti à l’aise sur scène, me suis pris au jeu et j’ai enchaîné. Il y avait moins de stress. Comme je gagnais, c’était sympa ! J’ai appris de nouvelles méthodes d’entraînement, la diète, l’alimentation ; de plus en plus pointues, en croisant les bonnes personnes. J’ai écrit des livres, suis devenu entraîneur national. Alain Lachaize, responsable des formations à la fédération, m’a envoyé former les jeunes et fait intervenir sur les diplômes d’Etat.
Rebelle(s) – Vous avez choisi deux voies parallèles : la formation – l’enseignement – et également développé une carrière d’athlète. Ce n’est pas fréquent.
FM – Dans tous les sports, on rencontre des formateurs qui sont aussi des compétiteurs. Mais il y a des champions qui ne sont pas du tout faits pour transmettre… Il faut être bienveillant, aimer partager. Il faut aimer les gens. Galvaniser les champions et motiver les pratiquants occasionnels – de loisir – à revenir sur les plateaux. Au début, me retrouver prof, je n’aimais pas trop ça. Il m’était difficile de présenter et expliquer ce que j’avais appris – la contraction musculaire, isotonique, isométrique, etc. Je préférais la pédagogie appliquée en salle de musculation.
Rebelle(s) – Quels ont été les moments marquants, ceux qui restent chaud à votre cœur ?
FM – Mon premier titre de champion du monde en tant que compétiteur, en 1999. A 33 ans. Puis en 2010, le titre toutes catégories à Miami. Je l’avais tenté plusieurs fois avant de le gagner… Et les voyages. j’ai beaucoup voyagé grâce à la fédération, aux États-Unis, en Italie, en Afrique du Sud… Grâce aux impôts. C’est vous qui payez ! (rires) Il faut être performant, évidemment. Ramener des médailles.
Rebelle(s) – En 2010, c’est en quelque sorte le sommet. Ce fut dur ?
FM – J’étais content parce qu’un an auparavant, j’avais perdu mon pied droit.
Rebelle(s) – ?!… le pied droit, vingt-huit ans après le gauche ?
FM – Oui, pied sectionné par une voiture. Un type qui n’avait pas le permis… Le chirurgien du bloc des urgences m’a dit que ce n’était pas beau, qu’il fallait amputer. Mais finalement, comme il restait une artère, ils me l’ont gardé. On m’avait prévenu, cela allait me faire mal, et en empirant avec le temps. C’est le cas le matin quand je me lève et j’ai besoin d’une longue séance d’échauffement. C’est pesant. J’ai réussi à reprendre la compétition mais j’ai toujours ce manque de mobilité (ndlr : Frédéric Mompo marche à petits pas, ne peut courir). J’ai pris des médocs pendant des années, pour traiter la douleur. Je n’en prends plus.
Rebelle(s) – La pratique du culturisme est-elle en croissance ?
FM – Ça explose, dans le monde entier. Mais c’est gangrené par le dopage.
Rebelle(s) – Comme dans tous les sports !
FM – Oui. Mais c’est très dangereux. Un compétiteur vient d’en mourir aux USA, deux jours avant une compétition prestigieuse. Moins de quarante ans… Les jeunes se perdent souvent. Ils confondent les compléments alimentaires et la chimie toxique. Pour acquérir une masse musculaire permettant de gagner en compétition, il est indispensable d’avoir une alimentation très spécifique. Les protéines y tiennent évidemment une grande place mais ne sont pas seules. Et les compléments alimentaires sont des compléments, comme leur nom l’indique. Pas des drogues, ni des médicaments. Il faut une compétence et un encadrement, tellement c’est aujourd’hui pointu, avec les performances accrues des athlètes.
Rebelle(s) – Il vous est arrivé d’être tenté par le dopage ?
FM – Toute ma vie. Tu vois les autres le faire ; tu les vois gagner. Tu te dis : pourquoi pas moi ? J’ai eu la chance d’appartenir à une fédération dont l’encadrement ne faisait pas n’importe quoi. Mais elle n’existe plus, elle a explosé en 2015. Les haltérophiles ont voulu être seuls. La fédération officielle (ndlr : celle soutenue par les pouvoirs publics) est depuis 2015 exclusivement celle de l’haltérophile qui est sport olympique et dispose de la délégation ministérielle. La force athlétique et le culturisme en ont été exclus et ne sont plus contraints par les contrôles. Il faut 10 ans à un jeune pour se former… sans dopage. Donc le dopage s’est généralisé. Pour gagner sur les plateaux, faire partie de l’élite et des grands champions culturistes photographiés dans les magazines, il faut se doper. Ce n’est d’ailleurs pas qu’il faut se doper. C’est qu’ils sont dopés.
Rebelle(s) – Donc aujourd’hui, pour être sélectionné comme haltérophile, on est contrôlé… donc on ne se dope pas – et à contrario pour le culturisme, on se dope.
FM – Oui. Quand tu es dans une fédération qui contrôle, tu ne te dopes pas. C’est aussi simple que ça. Chaque sport a son dopage spécifique. Le tir à la carabine : tu prends des bétabloquants (ndlr : pour réduire la fréquence cardiaque). Chacun a sa chimie propre ! Aux fédérations de faire le ménage. Aux pseudo-fédérations, les pseudo-contrôles… Dans le culturisme, ce qui est difficile, c’est de maintenir sa masse musculaire tout en diminuant sa masse graisseuse. Il faut être en hypercalorie pour travailler les muscles, et en hypocalorie pour ne pas augmenter le stock adipeux. Il faut être sec, et en même temps massif. C’est compliqué…
Rebelle(s) – Quel est le principe de base de la musculation ?
FM – Par l’effort sur la fibre musculaire, celle-ci se casse. L’alimentation permet de remplacer la fibre détruite pour une fibre plus grosse, plus puissante. Il faut détruire pour reconstruire, à l’échelle de la cellule. Et la variété des exercices permet de changer chaque fibre et le corps tout entier – avec le temps…
Rebelle(s) – L’athlète a-t-il un rapport particulier à son propre corps, le regarde-t-il différemment ?
FM – Quand tu fais de la compétition, il n’y a pas de miroir. Ce ne sont pas les types qui se regardent dans la glace qui percent le plus. Les grands champions de culturisme ont une perception de leur corps qui ne passe pas par le regard. L’art de la pose, c’est la recherche du mouvement. Cela a l’air en contradiction. Ça ne l’est pas. Les meilleurs savent placer leur bassin, ils ont l’intelligence du corps dans l’espace. A contrario, certains sont hideux.
Rebelle(s) – L’Hercule Farnèse, les statues antiques des Kouros qui figent dans le marbre les athlètes ou les dieux sont des images de la beauté parfaite – y a-t-il de l’art dans le culturisme ?
FM – Plutôt que d’art, je parlerais de présence. Ou de charisme. Tous les mecs que j’ai battus étaient plus beaux, plus impressionnants que moi. Je pense qu’en salle de muscu ou à la piscine, c’était eux qu’on regardait, pas moi. Sur scène, le tan (ndlr : le tan est un produit autobronzant qui met en valeur le dessin des muscles), l’éclairage…tout ce que je déteste du culturisme, tu dois le faire. Sortir le dos, te placer très large, etc. La morphologie héritée de tes parents, tu n’y peux rien. Si ton bassin est large, c’est difficile de t’imposer. Certains jeunes compétiteurs viennent me voir après avoir perdu et me disent : « Regarde ! J’ai progressé depuis l’an dernier, tu as vu mes abdos ! Je perds, je ne comprends pas. C’est injuste, on m’a saqué ! » Tu ne peux pas leur dire que oui, ils ont progressé, ils ont travaillé, ils en ont bavé mais que non, ils ne gagneront pas. Pourquoi ? Par manque d’harmonie. Ils n’ont pas la génétique permettant d’avoir des clavicules larges, des épaules plus larges que le bassin, etc. On ne peut pas transformer la structure osseuse, on peut sculpter les muscles autour. On peut modeler, et ça prend beaucoup de temps. Et si tu ajoutes le dopage, il n’y a pas non plus de « justice ». Certains cyclistes tiennent trois semaines de dopage et terminent le Tour de France, d’autres ne tiennent que deux semaines de dopage et abandonnent. Un ami a dit : « Vous savez pourquoi il est évident que Frédéric Mompo ne se dope pas ? – Parce que ça se voit ! » (rires). C’est vachard. On peut le prendre comme un compliment. Le culturisme, c’est le seul sport qui va te faire un corps d’athlète. Tous les athlètes ont un corps, tous les athlètes n’ont pas un corps d’athlète. On remplit ici, on remplit là, on sculpte, on modèle. Il faut éviter les coachs (ndlr : les entraîneurs) que j’appelle les compteurs. « Un, deux, trois, quatre… c’est bien ». Ils ne font que compter ! Au contraire, il est nécessaire d’expliquer aux élèves, de prendre le temps. La transformation de leur visage quand ils comprennent… (sourire) Mais tous les élèves n’écoutent pas, ou plutôt écoutent trop, à gauche, à droite, sur les réseaux sociaux ; on y trouve de tout. Donc les jeunes que je forme et qui ne savent pas écouter, qui sont en permanence à zapper de la dernière mode à l’astuce qui va tout changer, je ne les entraîne plus. Il faut être exigeant.
Rebelle(s) – Votre famille vous a-t-elle soutenu dans vos choix professionnels ?
FM – Ma grand-mère a toujours été favorable. C’est elle qui m’a élevé. Elle habite Montpellier – elle a 102 ans. Quand j’étais un jeune athlète, déjà professionnel, et que je partais pour la salle d’entraînement, elle me disait: « Amuse-toi bien ! » Elle n’imaginait pas qu’on puisse en faire un métier, pour elle c’était un plaisir. Mon père était content que je trouve une voie car je ne savais pas quoi faire de ma vie, après l’accident de moto. Christian Derval du cercle Tissier m’a aidé et orienté. J’ai croisé beaucoup de personnes qui – dixit – « se sont faites toutes seules ». Tu parles. Comme si personne n’avait de parents, ne croisait pas des gens qui aident d’une façon ou d’une autre… Moi-même je me suis occupé d’un de mes frères, de mon cousin.
Rebelle(s) – Pensez-vous que la beauté musculeuse – cet archétype de la masculinité – vous rend moins sensible aux biens matériels, aux signes de richesse ?
FM – Ce que je suis devenu, on ne peut pas l’acheter. On ne peut pas acheter une vie. Par ailleurs, je ne suis pas matérialiste.
Rebelle(s) – Qu’est-ce qui compte le plus, pour vous ?
FM – Ma femme, mes enfants.
Rebelle(s) – Vous avez toujours voulu être père ?
FM – Jamais. Ma mère allait mourir et me reprochait de ne pas avoir d’enfant. J’ai fait des enfants et elle ne les a pas vus. Elle est partie avant. Au final, leurs naissances ont été les plus beaux jours de ma vie. Je ne me sentais pas une âme de chef de famille, ne pensais pas faire un bon père. L’exemple familial n’était pas encourageant, mes parents ne s’entendaient pas.
Rebelle(s) – Vous auriez pu faire d’autres choix, un autre métier ?
FM – Je recommencerais, si cela était possible. Ou alors je ferais du foot. J’adorais ça. Mais avec deux pieds coupés, ce serait difficile… Les sports d’équipe, le jeu de balle, la tactique, c’est génial… Alors que la muscu… – (il fait la moue, mais se ravisant) – en fait quand on y réfléchit, il y a tellement de jeu entre les séries et les temps de récupération, la vitesse d’exécution, les enchaînements. Cela devient ludique quand tu maîtrises le truc. Il y a des variations.
Rebelle(s) – En dehors du boulot, avez-vous des passions, des loisirs ?
FM – J’aime bien le porno. (rires)
Rebelle(s) – Des producteurs vous on fait des propositions pour être acteur du X ?
Frédéric m’explique en riant qu’il entraîne l’humoriste Arnaud Ducret et que sa déconne l’inspire ! En fait, si on lui a fait des propositions, nombreuses quand il était jeune, c’était pour participer à des émissions de télé-réalité, comme l’île de la tentation et autre Koh Lanta sous les tropiques. S’il a toujours décliné, il avoue : « j’étais bien entouré ».
Rebelle(s) – Vous avez aujourd’hui cette salle de sport qui est à vous, pour recevoir vos clients et les former. J’imagine que c’est prenant. Combien d’heures de travail cela représente-t-il par semaine ?
FM – De 8h à 21h30 en semaine, et le samedi de 9h à 17h, et le dimanche de 9h à 13h. C’est beaucoup de présence.
Rebelle(s) – Cela fait près de 80 heures par semaines… Il vous arrive de prendre des vacances ?
FM – Quelque chose comme ça. Les vacances, c’est rare. Mais c’est un métier de passion ; je ne vois pas passer les heures. L’enfer du métier, c’est le reste : l’URSSAF, la TVA… (rire). Et les échecs affectifs, quand on a créé une relation forte sur la durée, de confiance totale avec les élèves, qui quelquefois ne dure pas, qui casse. Et quand on forme bien des élèves dans la salle, et qu’ils se perdent en dehors de la salle, on se sent mal. On a échoué.
Rebelle(s) – Cela veut dire qu’au-delà de la formation technique, vous ne pouviez pas éduquer ? Vous transmettiez le savoir-faire, mais pas le savoir-être ?
FM – C’est ça. Souvent ils ne prennent pas le bon chemin, malgré la discipline de ce sport.
Rebelle(s) – Vous avez tous les milieux représentés par les pratiquants ?
FM – Oui, des enfants de bourgeois et des fils du peuple. Mais en majorité, surtout dans les salles low-cost où j’ai travaillé des années durant, il y a des enfants des cités. Alors que c’est un sport qui n’est pas bon marché. Il faut manger beaucoup de viande, acheter des protéines ; les compléments alimentaires sont chers… C’est un sport de riche pratiqué par les pauvres.
Rebelle(s) – Vous êtes satisfait d’avoir aussi des clients travaillant dans le monde du spectacle, des acteurs (Tomer Sisley, Samuel Le Bihan, Dany Boon, Virginie Ledoyen, etc.) ?
FM – C’est sympa parce qu’on crée des relations d’amitiés. Et ce sont des relais d’opinion, ce qui est positif pour le développement de la préparation physique, du bien-être. Ils font connaître et expliquent que ce n’est pas un sport de bourrin mais au contraire une discipline de réflexion et de science. Et c’est plutôt valorisant. Cela apporte quelque chose de différent de l’entraînement de l’équipe de France de culturisme dont j’ai eu la charge (!) jusqu’à 2015.
Rebelle(s) – Comment voyez-vous les années qui viennent ?
FM – Je ne sais faire que ça. Et je le fais bien. Entrainer les gens. Je n’ai plus l’énergie, en tout cas en ce moment, pour la compétition.
Effectué dans la salle de sport que Frédéric Mompo dirige, notre entretien aura été interrompu à plusieurs reprises par un élève. A la recherche du bon mouvement, du bon placement, le pratiquant pose des questions, entre deux séries d’exercices. Frédéric prend le temps de le guider, de lui expliquer en détail comment éviter de se blesser ; ne montrant jamais d’agacement, d’impatience. Posé, il revient ensuite à notre conversation. Cette capacité à se réinvestir dans l’instant de l’échange ne m’étonne finalement pas. Dans la salle, les élèves peuvent être nombreux, et tous en demande de conseils. Frédéric passe de l’un à l’autre après avoir donné en quelques mots les consignes des mouvements adaptés à la morphologie, l’âge, la puissance de chacun. Il corrige, déplace le geste, donne les clés pour fignoler. Prodigue de mots et de gestes démonstratifs, il est concentré sur l’un, puis passe immédiatement à l’autre en étant tout autant mobilisé, insensible aux autres sollicitations le temps qu’il faut pour transmettre, au milieu des élèves tous avides d’attention.
Le temps de l’interview se termine. J’en remercie Frédéric Mompo, tout particulièrement pour sa sincérité désarmante. Une fraîcheur adolescente dont je sens qu’il est conscient et l’assume sans regret, avec candeur. Surprenant pour qui s’arrête aux apparences. Celle d’une armoire à glace qui aurait du mal à trouver de la place dans votre fauteuil lounge maxi-confort. Celle d’un homme qui n’aura pas prétendu expliquer le monde à tout le monde ni donné de leçons sur la meilleure façon de le faire tourner. Cette intrusion dans un milieu particulièrement exotique aura été une révélation. Celle de la grande similarité des différentes recherches de perfection. La concentration, l’attention aux détails, l’endurance, l’ascèse intérieure associée à l’écoute de l’autre… Tout cela se trouve aussi chez les culturistes, ces écorchés luisants au teint de cuivre rouge et au sourire figé, le temps de la montée sur scène, le temps de la pose sous le regard des juges qui feront – ou pas – un Monsieur Univers. A chacun son Graal. Finalement, il n’y a pas de hiérarchie des ascèses.