Si vous la questionnez pour savoir comment elle va, la Terre vous répondra « ça va, ça va ». Car si nous assistons à quantités de mouvements erratiques (submersions, vagues de chaleur, pollutions…), ce sont des érythèmes dont elle se moque. Sur le fond, elle va bien et c’est nous qui allons mal. Car, malgré notre expansion prolifique (ou à cause d’elle), nous allons devenir une espèce en voie de disparition. Mais, au fond, en quoi cela sera-t-il si important ?
Pour la Terre, pas de souci
Après tout, nous nous sommes plongés de nous-mêmes dans cette situation. C’est nous qui saccageons l’Amazonie, qui suçons le pétrole à même les déserts, qui exterminons ad nauseam les mammifères marins et transformons nos ressources alimentaires en produits synthétiques. Si nous acceptons de mettre entre parenthèses notre ethnocentrisme acharné, nous devons reconnaître que le mont Fuji est toujours aussi parfait et que la planète conserve la souplesse du roseau pour absorber les pôles qui fondent. Peut-être ne nous baignerons-nous plus à Arcachon mais à Agen et le fjord de Dijon alimentera-t-il l’Europe en saumons. Peut-être aussi que nos amis belges seront parvenus à ne constituer qu’une seule nation en se réfugiant tous dans les Ardennes où continueront à se disputer de beaux criteriums vélocipédiques. Quant aux Pays-Bas, ils auront, j’en suis sûr, trouvé une nouvelle ressource commerciale en transformant Amsterdam en centre de plongée de réputation internationale tandis que les Mayflowers 2 à 18 auront déplacé les protestants les plus intégristes vers les États-Unis d’Amérique. Et Cherbourg, devenue une île belliqueuse, conduira une guerre de Cent ans avec Guernesey. Mais, qu’est-ce que cela changera pour la Terre ?
Quant à elle, pas de souci : elle conservera sa place sur le manège circumsolaire. En revanche, ses habitants auront été réduits comme viande dans un pot au feu, pour abandonner la place à des colonies de salamandres. Mais, la Terre, elle, n’en a rien à foutre. Au contraire, elle se sentira débarrassée de ces hordes d’enquiquineurs qui lui grattent la peau et lui piquettent le dos d’immeubles de grande hauteur. Et puis, elle en a connu d’autres. Ne serait-ce que les multiples glaciations du quaternaire jusqu’à la dernière, entre 110 000 et 10 000 ans en arrière, associée aux périodes caniculaires qui s’ensuivirent. On verra alors apparaître une nouvelle mégafaune (mammouths, équidés, camélidés, cervidés), tandis que les populations de chasseurs-cueilleurs passeront à pied sec d’un continent à l’autre. Ainsi, rassurons-nous, la mondialisation a de beaux millénaires devant elle et elle disposera de tout son temps pour renouveler totalement le peuplement des zoos.
Pour les obèses, horizon sombre
En revanche, les multinationales et les hommes politiques qui déblayent le terrain devant elles seront secoués. Car, si aujourd’hui s’enflent les quelques trusts de tête devenus plus puissants que les États, il faut compter que, de leur côté, les sans-dents sauront un jour les montrer, tant monte la tension parmi eux. Vêtus ou non de jaune fluo. Et les riches populations, devenues obèses à force de s’empiffrer sans bouger, n’auront plus la force de s’enfuir. Alors, sans que la Terre frissonne, le monde sera pris d’une agitation qui nous ramènera loin en arrière. Car, la lutte pour les ressources en eau douce, en nourriture, en air pur et en espace, qui s’était apaisée durant la dernière génération, reprendra de plus belle, activée par les réseaux sociaux. Nos responsables (selon l’étymologie de leur fonction) devront alors répondre de la façon dont ils ont conduit leurs concitoyens en tutoyant le ravin jusqu’à plonger dans ses tréfonds.
Nous qui sommes parmi les obèses du monde, tremblons donc, et intéressons-nous au véganisme s’il est encore temps. Vous trouvez cela exagéré ? Nous en reparlerons dans cinquante ans.
Préserver le popotin
D’ici là, nous aurions intérêt à jouer du thermomètre. En effet, le monde tousse et il est fébrile quand il s’agit de lutter contre une épidémie de concurrence. Il éructe, lorsque les miséreux prétendent à mieux, car il n’y a pas à partager autant qu’on le dit. Il s’efforce alors de les maintenir chez eux, sur des îles appelées à être submergées ou dans des états concédés à des truanderies violentes.
Mais, s’il n’y avait que ça ! Car, il faut compter avec les énervés qui veulent conquérir toujours plus de territoire ou imposer à tous leur vision troublée par la dégénérescence maculaire. Sans compter qu’elle les excuse de lutiner le popotin des petites dames qui les approchent en excipant qu’ils ne les distinguent pas bien et les cherchent à tâtons. Ah ! Il ne fait pas bon exercer dans l’hospitalier et l’on comprend qu’on n’y accepte que des professionnelles. D’autant que les maladies qui intéressent le Lancet ou l’Académie des Nobel sont exclusivement mortelles. Ce n’est pas en se passionnant pour nos petits inconforts comme les ballonnements, le torticolis ou les cors aux pieds, pourtant fort douloureux, qu’on obtient la glorieuse distinction. Il faut s’intéresser à une pandémie planétaire, de préférence associée à un taux élevé de morbidité. Alors, oui, pendant tout le temps que son expansion durera, on adulera ceux qui formuleront les plus inquiétants pronostics. Juste pour le grand plaisir d’avoir peur, puisque nous n’en avons plus souvent l’occasion depuis que les ogres ont disparu.
Le spectacle vu de la fosse
Ainsi, le spectacle est-il permanent pour les Sélènes nous observant depuis l’astre qui nous tourne autour. Ils ne manquent pas de rire aux tirades ayatollesques, erdoganesques, trumpistes, poutiniennes ou autres au plus petit pied ! Tout se transmet sur écran, menaces, douceurs, amours, insultes… en attendant le réel comme on attend l’Arlésienne.
Il faut bien avouer que nous creusons notre propre fosse. Ce n’est aujourd’hui un secret pour personne, même pour ceux qui le nient, que l’humanité prépare sa propre destruction. A force de voitures puantes, d’avions flatulents et de navires dégazeurs. A force de creuser la terre pour y stocker des déchets qui ne disparaîtront pas d’ici plusieurs millénaires et de remplir les océans de continents de plastique dont les poissons se tapissent l’estomac avant de crever. Nous creusons aussi notre fosse en mesurant notre bien-être en termes exclusivement financiers et la richesse en possessions. Tout ceci est si bien connu qu’on s’en balance.
On se balance des vastes épidémies de chômage clouant moult travailleur sur le canapé du salon, de la pollution qui apprend à tousser aux plus petits et de la Dépakine qui ne leur permet plus de lever les bras lorsque le PSG a passé un tour en Ligue des Champions. « Si le problème a une solution, il ne sert à rien de s’inquiéter, dit un proverbe tibétain. Mais s’il n’en a pas, alors s’inquiéter ne change rien. » Sauf que désormais, le problème est en chacun de nous et que, vue par la Terre, comme l’écrivait Mark Twain, « si l’histoire ne se répète pas, elle rime ».