Sommes-nous tous fous ? Cette question banale trouvera des réponses diverses parce que l’histoire et l’étude ont démontré que diagnostiquer les troubles d’ordre psychiatrique, plus communément appelé la folie, est très compliqué. Nous évoquerons à ce sujet, une expérience qui fut menée et dont le retentissement trouve encore un écho évident de nos jours. Parce qu’il y aura toujours les fous d’une époque qui seront les visionnaires d’une autre et parce que nous sommes tous, en quelque sorte, le fou de quelqu’un d’autre, Qu’est-ce que la folie ? Comment la définir ? Et comment contenir toutes nos prédispositions et nos tentations qui sont comme autant de pulsions face à elle ?
Psychologie et psychiatrie
Il semble important de comprendre la distinction qui existe entre la psychologie et la psychiatrie. La psychologie étudie, dans son sens large, les processus mentaux et le comportement humain qui en découle. Plus précisément, sa définition implique « la connaissance empirique des sentiments, des idées, des manières de penser, de sentir, d’agir qui caractérisent un individu. » Son étymologie du grec Psyché (âme) et Logos (parole/discours) m’autorise à penser très simplement qu’elle s’oriente vers la discussion et la recherche de l’âme. C’est ainsi que la Psychiatrie, Psyché (âme) et iatros (médecin), se différencie puisqu’elle désigne le « médecin de l’âme » qui s’évertue à soigner les maladies mentales, ou maladies de l’âme. Faut-il rappeler qu’un psychologue n’a pas l’aptitude qu’a un psychiatre pour délivrer une ordonnance et des médicaments psychotropes. En effet, on devient psychiatre après avoir suivi une formation médicale polyvalente à la suite de laquelle on se spécialise en psychiatrie générale alors que le psychologue suit un cursus universitaire tout autre. De l’âme et du corps Il y a donc une science du corps et la médecine pour mieux la comprendre et mieux nous soigner. Et il y a une science de l’esprit ou de l’âme et la psychologie pour mieux la comprendre et mieux nous guider. Nous pouvons les regrouper au sein des sciences humaines.
Troubles mentaux et « folie douce »
Mais qu’est-ce qu’une maladie mentale ? Seraient-ce celles évidentes de quelques hommes ayant perdu la raison ? Et qu’est-ce que la raison après tout, si ce n’est celle de ne pas juger son prochain. Nous avons tous déjà rencontré dans les rues de nos vies, un fou irrécupérable, un homme ou une femme totalement hors de la réalité. Et peut-être que les asiles étaient les seuls lieux où ils pouvaient vivre sans nuire aux autres ou à eux-mêmes. Mais dans ce numéro de RBL, tant de dénonciations sont faites au sujet des abus de la psychiatrie et des internements à outrance de pauvres gens se retrouvant enfermés de force. Déjà le 16 Mars 2011, Libération titrait « projet de loi psychiatrique : c’est l’âme qu’on assassine » pour dénoncer publiquement les abus « relatifs aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ». Vous avez mal au ventre après avoir mangé. Vous êtes fatigué et victime d’une intoxication alimentaire. Un médecin vous prescrira les médicaments adaptés pour vous soigner. Vous avez les mêmes symptômes de fatigue et de stress intestinal suite à une rupture, un licenciement, un deuil ou tout autre événement bouleversant. Aucun docteur ne pourra vous aider. En revanche, le psychiatre saura vous délivrer la molécule qui fait moins pleurer combinée à celle qui fait sourire et procure un peu de joie. Ça peut vous aider à panser les plaies du cœur un peu de smecta pour le cœur. C’est un peu comme remettre une couche de peinture fraîche sur un mur décrépi par l’humidité sans avoir réglé le problème de fuite en amont. Un peu de poudre aux yeux et de maquillage sur un coeur meurtri et c’est reparti… C’est ce que préconise la psychiatrie pour soigner une dépression nerveuse. Et les données qu’accuse notre ami Éric Roux concernant la délivrance de psychotropes, dans quasi tous les cas, vont dans ce sens. On ne soigne pas, et encore moins ne guérit, les maux de l’esprit, comme on apaise ceux du corps. Il y a, sans nul doute, une folie caractérisée, incontestable que rien ni personne ne peut nier. Elle peut prendre différentes formes et se manifester dans tous les champs d’existence d’un être humain… Mais il existe aussi en chacun de nous des prédispositions à une certaine folie « douce ». Douce tant qu’elle est mesurée et contenue dans le cadre d’une morale humaine et universelle. J’entends par là que nous avons tous en nous les embryons de troubles mentaux : quand nous nous parlons à nous-mêmes, ou même quand nous poussons les réflexions jusque dans l’abîme, nous flirtons avec la folie. C’est par la conscience et le fait de s’en rendre compte que notre état mental reste « normal ».
L’ouverture psychanalytique
C’est dans cet interstice peut-être que la Psychanalyse de Sigmund Freud intervient et trouve sa place. Elle ne s’oppose pas à la psychologie ni à la psychiatrie mais j’ose croire qu’elle s’en sert comme deux de ses nombreux outils pour explorer l’influence de l’inconscient sur nos vies, qui jusque-là n’avait pas été ou peu étudiée. C’est la conjonction des contraires inhérente au monde qui rend indiscutable le fait que l’inconscient réponde au conscient et à la vie. J’inspire et j’expire autant que je suis conscient et inconscient. Et tout comme le hasard (inexplicable) provoque les rencontres, l’inattendu et le destin, la psychanalyse cherche à comprendre la part de hasard qui vit en chacun de nous. Elle tente de « démanteler » un réseau de ,traumatismes, joies, bouleversements, événements quelconques, qui justement expliquent les « folies douces » que j’évoque. Les névroses d’angoisse, les troubles mentaux, les troubles sexuels, les addictions, les comportements sociaux sont souvent les conséquences de problèmes rencontrés dans l’enfance ou après. Le psychanalyste essaye alors de les percevoir et d’éclairer le patient pour lui permettre d’en « prendre conscience » par lui-même. La psychanalyse ne se construit pas uniquement autour des problèmes ou maladies mentales d’un patient. Elle en prend acte pour tenter de comprendre les déviances d’un individu mais elle commence par le commencement et sans doute ne termine pas vraiment puisque les hommes traversent la vie et y portent des regards différents à tout âge.
À la différence de la psychiatrie, le plus souvent le psychanalyste ne croit pas aux vertus des médicaments et des « camisoles chimiques ».
L’expérience de David Rosenhan
D’ailleurs, en 1973, un certain David Rosenhan, professeur de psychologie à l’Université de Stanford, avait réalisé une expérience en engageant douze volontaires qui allaient solliciter un rendez-vous dans un Hôpital Psychiatrique. Ils étaient tous tout à fait « normaux » et furent diagnostiqués et internés pour schizophrénie après avoir menti en simulant le fait d’avoir des hallucinations auditives. Au bout d’une vingtaine de jours, il fallut engager un avocat pour les libérer. Et ils ne furent autorisés à quitter l’internement qu’après acceptation du diagnostic et du traitement antipsychotique qui leur fut administré. Et il prouva que l’inverse était possible en impliquant alors de faire diagnostiquer comme sain un individu atteint de sérieux troubles psychologiques. Ainsi, sur 192 malades avérés, 50 furent considérés comme sains et 52 autres comme « suspects » (ni fous, ni normaux). Nous pourrions peut-être simplement conclure que les psychiatres, en l’occurrence, étaient des « imposteurs ». Mais la réalité semble bien plus complexe et nuancée et les conclusions hâtives ne sont pas adaptées pour essayer de comprendre et expliquer les mécanismes spirituels qui définissent nos personnalités profondes. Avons-nous le droit aujourd’hui de permettre à la psychiatrie d’asseoir sa science sur laquelle les Grecs l’instituaient ? Se soucie-t-on encore de l’âme ? Et qui sommes-nous pour prétendre à une telle offrande, si pure, si l’on en suit les croyances ? Je ne crois pas un seul instant qu’un jour un homme trouvera un remède à la souffrance sans se rappeler que, peut-être, il faille se soucier de l’esprit et de l’âme.
Mon âme, où es-tu ?
C’est paradoxal mais la nature, dans toute sa transparence, est délirante d’un certain point de vue et il en va de même avec l’œuvre de C. G Jung dans son Livre Rouge. Il était si clair et si complet qu’il frôle le délire. Il est certain qu’il aurait trouvé sa place dans un hôpital psychiatrique lorsqu’il s’adresse à son âme oubliée. Et je le dis ironiquement parce que le monde entier serait la plus grande clinique psychiatrique en décidant d’enfermer un homme capable d’écrire : « Mon âme, où es-tu ? m’entends-tu ? je parle, je t’appelle es-tu là ? Je suis revenu, je suis rentré – J’ai secoué de mes pieds la poussière de tous les pays et je suis venu à toi, je suis avec toi… Mais il faut que tu saches une chose, il y a une chose que j’ai apprise : Que l’on doit vivre cette vie. Cette vie est le chemin, le chemin que l’on cherche depuis si longtemps et qui mène à l’inconcevable que nous qualifions de divin. Il n’y a pas d’autre chemin… Voilà ce que l’esprit des profondeurs m’obligea à dire et en même temps à vivre contre ma volonté, car je ne m’y attendais pas. J’étais alors entièrement prisonnier de l’esprit de ce temps et avais une autre opinion de l’âme humaine… Je n’ai pas songé que mon âme ne peut pas être l’objet de mon jugement et de mon savoir ; mon jugement et mon savoir sont bien plus l’objet de mon âme… J’ai dû reconnaître que ce que j’appelais autrefois mon âme, n’avait absolument pas été mon âme, mais une construction doctrinale sans vie. Il a donc fallu que je parle à mon âme comme à quelque chose de lointain et d’inconnu qui n’existe pas par moi mais par qui j’existe. » (C.G. Jung, Livre rouge).
Il y a sans doute quelques génies méconnus dans les HP. Redonnons une âme à la psychiatrie.
Michaël Lévy-Bencheton