Articuler un essai sur l’univers impitoyable du succès laissait augurer une salutaire remise à leur place des fumeuses théories proposées par les nombreux ouvrages qui ont précédé la dernière livraison de Lydie Salvayre. Cette ambition pouvait néanmoins paraitre légèrement présomptueuse pour une autrice profondément investie dans l’exploration des reins et des cœurs, vivant à distance des injonctions de la performance et concédant peu aux trompettes de la renommée. En fait elle disposait de plusieurs atouts cachés pour décortiquer le Graal d’une société « accroc » à la réussite. Un passé de psychiatre utile pour décortiquer les pathologies humaines. Un Prix Goncourt assez ancien pour que les vapeurs égotiques attachées à cette distinction soient digérées. Certains doutes pouvaient néanmoins compromettre ces chances de succès. L’expérience montre qu’une bonne romancière ne cache pas toujours une bonne essayiste. La profusion des recettes prodiguées par des hordes de spécialistes du management de la réussite – avoir du succès dans les études, les affaires, le sexe, l’amour… – pouvait laisser accroire que le sujet était épuisé. La lecture des premières propositions de cet essai, malgré le recours aux registres du deuxième degré et de l’ironie génère d’ailleurs un certain malaise. De plus, la précision des thèmes traités conduit à se demander si l’autrice n’est elle-même prise au piège. Son intimité avec le monde et les règles du succès parait si patente qu’un doute s’établit progressivement sur sa lucidité vis-à-vis du monde qu’elle moque, possiblement déchirée entre haine et amour. Il faut attendre le dernier chapitre pour sortir de l’ambiguïté et se rassurer sur le fond de la pensée de l’autrice. Le premier degré sert alors à une dénonciation « irréfutable » de « ces petits milieux qui s’estiment éminents ». Mobilisant tous ses talents, il lui suffit de quelques pages pour vilipender un monde « attaché aux avantages qu’apporte la réussite sociale ». Elle invite le lecteur à refuser de se faire « un nom » et à préférer se faire un « Non, à l’épate et à la vantardise (…), à être gouverné par autre chose que par soi-même (…), aux lois qui mènent censément au succès en (vous) mordant le cœur et en (vous) broyant l’âme ». Sa conclusion achève cette mise à mort de la société du semblant en convoquant le Marcel Proust du « Temps retrouvé » et ceux qui pensent que « les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence ». Finalement, un sacré coup porté au caractère nocif du terrorisme ambiant des injonctions au succès.