Les robots ne sont pas futés, mais il y a de l’espoir
Essayez d’écrire un SMS sur votre téléphone. Par exemple «anticonstitutionnellement », mot difficile à placer dans la conversation, je vous le concède. Faites une erreur – volontaire – et tapez « articonstitutionnellement », avec un «r» à la place du premier «n», pour voir. Selon le système qui équipe votre téléphone, il pourra – ce que j’ai obtenu – vous proposer le mot « artificiellement ».
Que s’est-il passé ? L’intelligence, bien artificielle en l’occurrence, a déduit un mot des premières lettres de ce que vous écriviez et s’est trompé. L’IA – l’Intelligence Artificielle – n’a pas appris. Elle est inculte. C’est normal, ceux qui apprennent aux IA, aux robots, n’en sont qu’aux prémisses de cette évolution du monde. On peut aussi estimer que les formateurs de robots sont eux-mêmes incultes. Mais c’est un autre débat. Si vous insistez, et que vous écrivez plusieurs fois le mot souhaité en variant les fautes, le système finira par vous proposer la bonne orthographe. Il aura appris. Il sera un tout petit peu plus éduqué.
Les robots sont stupides ; ils sont surtout ignares. En attendant qu’ils deviennent intelligents, comme on dirait d’un être vivant qu’il peut l’être, on peut d’ores et déjà les éduquer.
Contrairement à un chat, un robot ne sait pas reconnaître un cheval
Vous avez peut-être remarqué qu’au cours de certaines opérations comme par exemple la mise à jour d’un logiciel par téléchargement, le système programmé vous propose de reconnaître certains objets photographiés au milieu d’autres afin de vérifier que vous n’êtes pas un robot. Les robots ne sont, pour l’instant, pas capables de distinguer un objet d’un autre, sauf à ce qu’on les ait formés longuement en amont. Une fois qu’il l’aura vu, le chat qui n’a jamais vu de cheval en reconnaîtra un chaque fois que l’élégant animal passera devant lui. Qui plus est, le chat saura distinguer un cheval d’un autre.
Le robot, lui, a besoin qu’on lui indique plusieurs centaines de milliers de fois que le cheval est un cheval avant d’assimiler ce qu’est un cheval. Encore faut-il préciser qu’une fois capable de différencier un canasson d’une grue de chantier, il ne saura de toute façon toujours pas distinguer « Folle avoine » de « Bouton d’or »…
Une caisse de résonance pour les « fake news »
Des études ont été dernièrement réalisées par des journalistes intéressés à véritablement comprendre leur temps (il en existe). Soucieuses d’éclairer les lecteurs-citoyens, leurs résultats montrent que les « fake news » – c’est à dire en bon français les bobards – sont les nouvelles les plus reprises par les médias. Pourquoi ? Primes au sensationnel, elles sont beaucoup plus captivantes que les nouvelles vraies. C’est la couverture du bon vieux Détective, illustrée de ses personnages dessinés dans des poses exacerbées, les yeux révulsés par la peur, les rictus de haine, etc. Beaucoup plus rigolo que la première page du Monde. C’est humain ; pas de surprise.
Ce dont on ne tient pas encore compte, parce qu’on le découvre à peine, c’est que les « fake news » sont bien plus mises en avant par les moteurs de recherches que les nouvelles vraies, estampillées objectives et bio. Les moteurs de recherche sur Internet sont bourrés d’IA. L’IA est le cerveau des moteurs. Quand vous recherchez une information, il y a, par fonctionnement des systèmes de l’internet, plus de chance que vous tombiez sur une « fake news » plutôt que sur un fait réel et démontrable.
Alors qu’ils devraient les limiter, les freiner, les contenir, afin de permettre aux bonnes infos avec des morceaux de vérité dedans de faire leur chemin vers le quidam honnête, les moteurs et leurs IA exagèrent, accentuent les biais créés par les groupes de pression et les allumés du bocal. Les robots sont encore incivils.
Des robots à psychanalyser, mais avant tout, à éduquer
Susan Calvin, robopsychologue, est le personnage principal du grand cycle romanesque d’Isaac Asimov, Les robots. Le docteur Calvin étudie et soigne les maladies mentales et les souffrances robotiques. En réparant les psychés informatiques détraquées, elle contribue aux mieux être des robots et par contre-coup des humains, puisque ces derniers dépendent entièrement du bon fonctionnement des machines. Cette dépendance des activités humaines vis à vis des robots, prophétisée en 1950, nous la vivons aujourd’hui. Il n’est par exemple plus un avion de ligne qui ne soit entièrement robotisé, programmé, autonome. Et ça marche. Si l’humain peut reprendre la main, la plupart du temps ce n’est pas nécessaire.
Toutefois, si les robots de Susan Calvin ont besoin de faire des cures psychanalytiques, c’est qu’ils sont déjà très avancés. Très cultivés. Depuis qu’Isaac Asimov publiait les premières nouvelles de son grand œuvre, du temps a passé. Malgré tout, la robopsychologie n’est pas encore une science ou une thérapie puisque les robots ne souffrent pas.
Pour arriver à un niveau de sophistication tel que des machines nécessitent qu’on les soigne, il leur faudra acquérir la conscience. Mais bien avant cela, nous devrons d’abord transformer des boîtes de conserves en objets éduqués.
Des nounous pour les robots, dès aujourd’hui
Quelle étrange association que celle de l’objet avec l’éducation. Pourtant, c’est ce que font d’ores et déjà des experts qu’on nomme « éducateurs d’intelligence artificielle », autrement-dit éducateurs de machines. D’après Benoît Raphaël, « éleveur de robots »1, il s’agit fondamentalement de modéliser en vue d’automatiser. Nous comprenons que ce sont les hommes qui modélisent, et que ce sont les robots qui appliquent. L’intelligence n’est donc en rien artificielle. Du moins pour l’instant. Car les pistes de progrès sont fascinantes et prometteuses pour qui rêve de créer une intelligence véritablement artificielle, c’est à dire plutôt un artifice intelligent.
D’un côté, il faut se méfier de l’expression « intelligence artificielle ». Elle sonne bien ses promesses de futurs brillants et inquiétants. Les communicants, publicitaires, journalistes et autres peu scrupuleux vendeurs de rêve en boîte s’en délectent, la roulent sous la langue en présage de miracles impénétrables. Pensée magique pour demain qui augmente l’audience dès aujourd’hui. D’un autre côté, tant de robots à éduquer, cela va procurer du boulot aux enseignants. Dans ces temps de déflation scolaire et de pyramide des âges tronquée, en voilà une bonne nouvelle.
Éric Desordre
1. https://www.meta-media.fr/2019/06/04/ne-laissez-pas-les-robots-tout-seuls.html