Au 18ème siècle, dans un de ses écrits satiriques, Jonathan Swift proposait de manger les pauvres, ce qui présentait le double avantage de résorber le nombre des nécessiteux et de résoudre les énormes problèmes de malnutrition, voire de famine, dans l’Irlande d’alors. C’était féroce et drôle.
Il y a près de quarante ans Margaret Thatcher disait : « Il ne faut pas donner d’argent aux pauvres. Ils le boivent et le dilapident bêtement. Il faut le donner aux riches qui savent le faire prospérer. » Ce mépris, cynique et insultant révéla la violence d’une société où les classes étaient encore très marquées. Remarquons pourtant que Margaret Thatcher fut réélue plusieurs fois. C’était monstrueux et d’une grande bêtise.
Coïncidence, dans le film « Ma Loute » de Bruno Dumont en 2016, des pauvres se mettent à manger des riches. C’est féroce et drôle.
Mais soyons à notre tour provocateur. Aujourd’hui, en France, n’est-ce pas également faire preuve d’une coupable et dangereuse bêtise que de désigner politiquement le « riche » comme l’ennemi à combattre, voire à abattre ? Désigner un ennemi est déjà une preuve de bêtise et d’une logique à la limite du fascisme.
Qui est le riche ?
On se le figure bien habillé, vivant à Paris dans le 16ème arrondissement, ou dans un château, avec grosse voiture et cigare. Mais sait-on, par exemple, que l’un des départements les plus riches de France est l’Ain, peu connu pour ses échanges boursiers ou sa Silicon Valley, mais plus pour ses fromages, ses vins du Bugey et sa volaille de Bresse?
Notons que personne ne fixe de limite. Où commence la richesse ? Quand on a plus de 3 000 euros par mois, une résidence principale, une secondaire, est-on déjà riche? Aux yeux d’un smicard ou d’un bénéficiaire du RSA, certainement! Mais pour l’intéressé : que nenni, que non point ! Riche, moi ? Le riche, c’est toujours l’autre. Celui qui gagne 6 000 euros par mois vous dira exactement la même chose. Celui qui en gagne 15 000 également.
Peu importe également comment vous êtes devenu riche. Êtes-vous fils ou fille de, ou avez-vous travaillé dur ? Peu importe, vous êtes du côté des patrons, autres avatars du riche. Car tous les riches sont patrons.
Il y a le cas épineux des stars du sport. Ils/elles sont souvent issu/es de milieux modestes et gagnent des millions. Sont-ils eux aussi des « salauds » de riches. Je dis salauds car riche est devenu bien sûr péjoratif. On dit d’ailleurs président des riches de façon insultante.
Le cas particulier des footballeurs est intéressant. En effet le bon militant, c’est à dire de gauche (car bon militant, ou bon tout court, ne saurait être de droite) se moque facilement de ce sport de débiles pour rester poli et des compétitions genre euro ou coupe du monde. En effet, il défend le peuple mais méprise tout ce que celui-ci aime, du sport à certains chanteurs, en passant par des émissions télévisées populaires, voire le barbecue. Et donc, ces nantis de footballeurs, qui sont aussi des glandeurs (c’est bien connu, pour être sportif de haut niveau, ce n’est pas très difficile!) devraient payer des fortunes en impôts. A l’inverse, beaucoup de gens pauvres qui trouvent que tous les riches devraient payer plus ne sont pas d’accord quand il s’agit de Zidane ou M’Bappé.
Il en va de même pour les stars du show-bizz. Beyoncé ou Léonardo Di Caprio ne sauraient être regardés comme des salauds de riches, alors que leur fortune est respectivement estimée à 175 et 185 millions de dollars, soit beaucoup plus que la plupart des « patrons ». Et tout ça avec notre argent (rires enregistrés!).
Problème d’école : si vous gagnez au loto, une somme colossale (et donc sans effort ni travail) c’est bien ! Surtout si vous êtes pauvre. Mais devenez-vous alors un riche méprisable ? La question reste en suspens. En fait, vous avez toutes les chances de devenir détesté par les bourgeois car ne faisant pas partie de leur monde et par les pauvres car jalousé.
Une rhétorique “politique” simple, façon les Inconnus, se met en place: riche, pas bien/ pas riche, bien! Et rien ne peut vous “racheter” du pêché/crime de richesse. Notre Dame brûle, vous donnez spontanément 200 millions d’euros, c’est forcément pour avoir un crédit d’impôt. Vous renoncez publiquement à ce crédit ? C’est peu de choses comparé à votre fortune, donc votre geste ne vaut rien. Les exemples sont légions. Mon voisin après avoir lu, il y a 5 ans, le classement des fortunes mondiales y allait d’un: “évidemment, aucun français. On est trop nul ! ; L’année dernière, Bernard Arnault rentre dans le top 5. Mon voisin: “Regarde-moi cet enfoiré ! Et tout ça avec notre argent !” (surtout pas de rires enregistrés!). Allez comprendre !
Un article de Rebelle est très révélateur en ces temps français troublé. Le nouvel “ennemi”, le parfait bouc émissaire, après l’aristo et le bourgeois, est le bobo. En effet, délit suprême, le bobo brouille les lignes. Il n’est plus le bourgeois à la Chabrol, méprisant, sexiste, raciste, à droite toute. Mais manque de pot, catho de gauche est aussi devenu une tare.
Dans l’article on lit que le bobo peut être: bien-pensant (ce qui bizarrement est un défaut), tolérant, humaniste. Il est pour la mixité sociale et la pratique à l’école, pour le bien manger, pour le vélo en ville, pour l’écologie et cherche à être quelqu’un de bien. Bref, on le voit, une ordure parfaite ! La cible idéale. Le riche ne peut pas s’améliorer et ne doit même pas chercher à être plus juste ou bienveillant. C’est suspect et dérangeant.
De l’autre “côté”, il y a : les prolétaires, les travailleurs (le bourgeois/patron, lui, ne travaille pas!), la France d’en bas, et plus récemment le peuple, voire les gens! Et ces gens sont un ensemble homogène, partageant les mêmes valeurs, une solidarité sans faille, des sentiments élevés et un idéal communautaire. Il ne viendrait à aucun l’idée saugrenue d’être riche, et personne n’en rêve! De la même manière que le riche est un salaud, le pauvre est un chic type et, s’il ne l’est pas, il a une excuse, il est pauvre. Le riche n’en a aucune.
Le plus beau c’est que l’immense majorité des penseurs, philosophes, politiciens qui ont théorisé tout cela et qui continuent, avec parfois, souvent, une haine féroce de la bourgeoisie, venait ou viennent eux-mêmes de la bourgeoisie ou d’un milieu aisé. Cherchez-donc les origines de Saint-Just, Marx, Bakounine, Lénine, Mao, Pol Pot, Sartre et vous verrez.
Comme disait Coluche : « Il vendait de l’intelligence mais il n’avait pas un échantillon sur lui ! ; » Méfions-nous donc de ceux qui vendent du peuple et du pauvre à tour de bras.
En revanche, Staline et Poutine viennent tous les deux de familles pauvres. Je n’en tire aucune conclusion évidemment. J’aimerais tellement que tout le monde en fasse autant !
Nous avons remplacé les Montague et les Capulet par les riches et les pauvres. Une seule constante : la haine.