Confortablement installés dans nos fauteuils français, la guerre nous semble parfois un vestige du passé. Bien sûr, quelques images nous parviennent pour nous rappeler que quelque part dans le monde, des gens s’entretuent. Ce sont surtout des populations « sous-développés » peut-on se dire. Entendez par là certains de ces pays qu’on a classés dans le « tiers-monde », des pays « en voie de développement » comme il est de meilleur ton de dire aujourd’hui. Et pourtant, d’un point de vue d’humanité, cette famille humaine dont on oublie parfois notre appartenance, nous sommes en guerre.
A l’instant où vous lisez ces lignes, des combattants s’entretuent dans une grande partie du Moyen-Orient : en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Yemen… En Afrique aussi : à l’Est de la République Démocratique du Congo, nous avons un conflit qui a fait des millions de victimes ces dernières années, avec des crimes de guerre plus horribles les uns que les autres. Au Soudan, on s’entretue. Au Mali, on s’entretue. Je ne vais pas vous faire la carte mondiale des conflits, je rappelle juste à notre conscience quelques faits actuels.
Ingérence ou pas ingérence ?
Ce n’est pas parce que les quelques exemples que j’ai donnés sont loin de nous – quoique cette notion de distance soit quelque peu à remettre en perspective avec les nouveaux moyens de déplacement et de communication – qu’il nous faille croire que nous n’y sommes pas reliés. Nous le sommes. Ne serait-ce que parce que nous vendons des armes aux combattants s’entretuant. Mais aussi parce que comme toutes les puissances économiques de ce monde, nous pratiquons l’ingérence militaire dans ces conflits armés. N’avons-nous pas fourni des armes aux rebelles syriens pour renverser le régime de Bachar Al Assad, pour nous rendre compte finalement qu’une grande partie de ces rebelles n’étaient autres que Daech, Al Quaida et consorts. C’est un privilège de celui qui est en paix chez lui que d’aller se mêler des guerres des autres. Nous ne sommes pas les seuls bien sûr : la maladie touche aussi l’Arabie Saoudite, les États-Unis, la Russie, la Turquie, l’Iran, etc. Tous soutiennent un camp contre un autre, quelque part, lui fournissent des armes, de l’aide, du renseignement. On aimerait qu’ils s’y ingèrent pour tenter d’y ramener la paix. Mais pensez-vous… On doit aussi choisir le camp qui d’après nous, présente les meilleures garanties pour nos intérêts propres. Malheureusement, l’histoire nous a montré qu’on remplaçait souvent un monstre par un double monstre.
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’on ne devrait pas pratiquer l’ingérence, au nom d’une sacro-sainte souveraineté des états qui interdiraient qu’on se mêle de ce que fait le voisin. Ne devrait-on pas intervenir quand notre voisin de palier bat ses enfants à mort, sous prétexte qu’il jouit d’une souveraineté sur sa famille ? Non, au contraire, je pense qu’il ne faut pas hésiter à se mêler des affaires des autres lorsque ces derniers violent les droits de l’homme, ou mettent en péril l’avenir des écosystèmes, ou d’une manière ou d’une autre se révèlent dangereux pour l’avenir de l’humanité. S’en mêler, oui. Mais dans quel but ?
Veut-on vraiment mettre fin à la guerre ?
Une véritable question à se poser aujourd’hui serait : veut-on vraiment mettre fin à la guerre sur notre planète ? La réponse est non. Pas un « non » catégorique, tout noir par opposition à un « oui » tout blanc, mais un « non » issu des nombreuses contradictions qui existent autour de la question. Est-on prêt à abandonner toute idée que la réponse à une situation critique dans un pays tiers puisse passer par la guerre, à décider de ne plus jamais choisir d’armer un camp contre l’autre ? Est-on prêt à arrêter de permettre, au nom de la liberté du commerce, aux fabricants et marchands d’armes d’exporter leurs produits de mort dans les zones de conflit, et à réellement mettre en œuvre le Traité sur le commerce des armes adopté par les Nations-Unies en 2013 ? Sommes-nous prêts à sanctionner les pays ne l’ayant pas signé, comme la Chine ou la Russie, et ceux qui ne l’ont pas encore ratifié, comme les États-Unis, la Turquie ou Israël ? Sommes-nous prêts à couper dans la manne que représentent les dizaines de milliers de milliards de dollars du commerce des armes, à fâcher nos fabricants/exportateurs en publiant chaque année en toute transparence toutes les données sur les exportations d’armes. Sommes-nous prêts à renoncer à la guerre ?
Je ne dis pas que la situation est pire qu’avant. Il y a toujours eu des guerres, et ce n’est pas parce que nous utilisons des drones de guerre aujourd’hui qu’il y a plus de morts dans les conflits armés. Ce n’est pas une raison. La guerre n’est pas une fatalité. SI elle existe, c’est qu’elle sert les intérêts de quelqu’un, de quelques-uns, et jamais de ceux qui s’entretuent. Si elle existe, c’est que quelques-uns la créent. Si elle existe, c’est que nous n’y mettons pas un terme, en laissant le terrain à ceux qui s’en réjouissent.
Les fous, et le courage
Il n’est pas ici question de non-violence. La non-violence peut avoir une certaine efficacité, mais penser qu’elle peut résoudre tout ce qui se passe sur notre terre aujourd’hui est une autre affaire. On peut avoir recours à la violence pour se protéger de la violence, ou, de manière proportionnée, pour mettre un terme à une violence adverse, dangereuse. Cependant, ceux de nos dirigeants qui poussent à la guerre, sont des fous. N’en déplaise aux adorateurs de Bonaparte, qui lui aussi était un fou, jouant aux petits soldats avec ses troupes qu’il envoyait au massacre sans remords ni état d’âme, et n’en déplaise aux tenants du « ce qu’il leur faut, c’est une bonne guerre », nos dirigeants belliqueux sont des fous qui ont perdu pied, et ne connaissent plus la valeur de la vie.
Mettre fin à la guerre ne sera pas tâche aisée. Il faudra du courage, beaucoup de courage. Certainement beaucoup plus de courage que pour en déclencher une. Il faudra avoir le courage de débusquer et de clouer au pilori ceux qui créent la guerre. Il faudra le courage de porter un coup au portefeuille des exportateurs d’armes, au portefeuille de tous ceux qui finalement se réjouissent de la guerre, et prendre le risque de supporter leur fureur. Il faudra le courage de changer le paradigme, de penser de nouvelles manières de résoudre les conflits. Il faudra le courage de rêver une meilleure humanité, fraternelle, tournée vers des objectifs communs et ambitieux. Sommes-nous prêts ? Avons-nous le choix ?