Comme le disait Karl Kraus, «On doit chaque fois écrire comme si c’était la première et la dernière fois».
Et qui de mieux qu’Artaud, par sa rébellion constante et sa folie extra-ordinaire, peut illustrer au mieux cette sentence décourageante pour qui ne se sent pas réellement l’urgence de l’écriture ?
Si on aime Van Gogh, si on aime Artaud, alors ce livre est inévitable, indémodable et indépassable.
Ce court texte éjaculatoire, éloge de la peinture du hollandais, est une ode au génie créatif de ce dernier, vanté par Artaud, qui en moins de soixante dix pages, nous livre une démonstration, une explication poétique et poignante de la ligne étroite qui sépare le génie de la folie.
«Non, Van Gogh n’était pas fou» plaide Artaud, «ou alors il l’était au sens de cette authentique aliénation dont la société ne veut rien savoir, elle qui confond l’écriture et le texte (là où tout écrit est corps, dessin, théâtre )».
L’idée défendue par Artaud, avec ses mots d’or, est que comme pour Edgar Poe, Charles Baudelaire, Gérard de Nerval ou Lautréamont, Van Gogh a été suicidé par la société.
Que celle-ci a périclité. Et que les rébellions et les insurrections, portées par des êtres, contre la marche unique du monde, sont enfermées la plupart du temps dans un asile, comme lui-même l’a été, comme eux-mêmes l’ont été.
Van Gogh représente à ses yeux le peintre absolu, et pour lui, ses tableaux changent la face du monde.
Les toiles de Van Gogh semblent l’avoir comme possédé, et il donne l’impression de les avoir incubées, vécues, comme une sorte de syndrome Stendhal, qui l’a fait accoucher de ce court texte, dont la deuxième partie concerne la médecine, et la médecine psychiatrique : «La médecine est née du mal, si elle n’est pas née de la maladie, et si elle a au contraire, provoqué et crée de toutes pièces la maladie pour se donner une raison d’être ; mais la psychiatrie est née de la tourbe populacière des êtres qui ont voulu conserver le mal à la source de la maladie et qui ont ainsi extirpé de leur propre néant une espèce de garde suisse pour saquer à sa base l’élan de rébellion revendicatrice qui est à l’origine du génie».
Artaud défend l’idée que la psychiatrie est l’ennemie du génie créatif. Qu’une part de folie accompagne nécessairement toute création pure, belle et authentique. Et que Van Gogh était un de ces rares génies-là, qu’on a enfermés, «de peur que leur poésie ne sorte des livres et ne renverse la réalité» comme il l’écrivait dans sa «Lettre sur Lautréamont».
Le point de vue d’Antonin Artaud est que la psychiatrie, sous couvert de vouloir guérir ses patients, les fait simplement taire. Leur message, bien souvent, ne peut être toléré par la société, et dans certains cas, la clairvoyance affichée par certains «malades», dont il estime faire partie, assigne la société en justice pour conformisme. Celle-ci ne peut l’accepter : il faut donc les enfermer.
Et c’est ce que Van Gogh a subi, et c’est ce qu’Artaud a subi.
Dans ce texte, qui a presque valeur de manifeste, un hommage subtil et harmonieux est rendu à Van Gogh, génie de la peinture, et le lien est clairement établi par Artaud entre souffrance, et écriture ; entre génie, créativité, et folie.
Car comme il le défend avec vigueur, «Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, construit, modelé, inventé que pour essayer de se sortir de l’enfer».
Par Christophe Diard
Van Gogh, le suicidé de la société
par ANTONIN ARTAUD
chez Gallimard,
paru en 1974, réédité en 2001
prix public : 7€