L’agoraphobe a peur des foules. Sera-t-il stigmatisé pour autant ? Le traitera-t-on de misogyne parce qu’il craint de se mélanger avec un trop grand nombre de ses congénères ? Non, car on dit qu’il souffre d’une maladie, même si aucune bactérie ni aucun gène n’ont pu à ce jour être trouvés responsables de cet état.
L’islamophobe, finalement, c’est un peu pareil. Un homme sain d’esprit se plongerait-il dans une transe psychotique parce qu’il a vu une femme se baigner tout habillée ? Non, l’homme sain d’esprit pourrait le cas échéant regretter de ne pas en voir assez, soit, et maudire cette mode musulmane qui rend nos plages si dénuées d’intérêt pour les mâles dont le sens élevé de l’esthétique s’était accoutumé au bikini. Mais de là à appeler la police, ou à crier « DAESH est là ! » à la vue de ces femmes dont le vrai tort est de ne pas souscrire à la mode locale, pour des raisons certes discutables, il y a un monde. Ce monde c’est ce qui sépare l’homme sain d’esprit de l’islamophobe.
Alors, le malade nous dit que le burkini menace les valeurs de la République. La République, elle, se demande de quelles valeurs on parle. L’obligation de montrer son corps, faite à une femme pratiquant la baignade sur une plage, est-elle une valeur de la République ? Si c’est le cas, je ne suis pas loin de militer pour qu’on aille plus loin, et qu’on décrète le monokini obligatoire sur les plages. Après tout, les hommes n’ont pas à porter de soutien gorge, et cette seconde pièce du maillot de bain féminin la place indubitablement dans une position inférieure à celle de son pendant masculin.
Mais l’islamophobe a plus d’un tour dans son sac. Il rappelle que le burkini, c’est l’expression d’une doctrine musulmane terroriste, puisqu’elle provient de courants salafistes, et que tous les terroristes sont des salafistes (sauf jusqu’à preuve du contraire celui de Nice, celui de Munich, Breivik, etc., mais ça, ça ne compte pas), donc certainement tous les salafistes doivent être au moins un peu terroristes, et qu’ainsi les femmes en Burkini sont des dangers pour la sécurité de nos concitoyens. « Mais, lui répond-on, aucune femme en Burkini n’a jamais été impliquée dans un attentat… »
« Oui, dit-il, mais il s’agit là d’une provocation qui trouble l’ordre public. Pourquoi ? Parce que les islamophobes comme moi ne peuvent réprimer un sentiment de haine et de violence à la vue de cette absence de vue (sur les parties charnelles). » Là, l’argument fait mouche. C’est une question de santé publique. C’est comme fumer à coté d’un malade du cancer du poumon. Ca ne se fait pas. Exhiber un burkini devant le nez d’un islamophobe, c’est prendre le risque de le plonger dans une crise psychotique dangereuse pour lui-même, mais aussi pour ses proches, qui se sentiront totalement désemparés face à la violence des propos qui risquent de sortir de sa bouche, voire face à la bagarre qu’il déclenchera sur l’une de nos belles plages françaises, celles où tout devrait se voir, sauf ce qui empêche de voir.
Certes, on pourrait pondre un arrêté municipal qui interdirait les plages aux islamophobes, et l’Etat aurait joué son rôle de protection de l’ordre public. Mais le problème est qu’il y a beaucoup plus d’islamophobes que de burkinis sur les plages… Doit-on légiférer pour le bien du plus petit nombre, au nom de principes constitutionnels ? Et cela ne constituerait-il pas une discrimination pour raisons de santé ? De quel droit une catégorie de malades n’aurait-elle pas le droit de profiter de nos plages ? Donc, non, on ne peut décidemment pas interdire l’islamophobe de baignade, d’autant plus que l’eau fraiche pourrait avoir des vertus bénéfiques en cas de crise.
Mais l’islamophobe n’a pas comme problème que le burkini. Les symptômes sont nombreux : il ne peut supporter d’être assis à coté d’une personne qui refuse de manger du porc. La consommation de porc n’est-elle pas une valeur sacrée de la République ? Il ne supporte pas non plus que son voisin se refuse à boire du vin, et nous ne saurions trop conseiller à nos amis abstinents d’alcool de se montrer discrets pour éviter la crise : prenez la peine de verser dans votre verre du jus de raisin, voire du vin, même si celui-ci doit finir dans les plantes bordant le resto-plage où vous vous trouvez. Quant au menu de substitution, n’y pensez plus : apprenez le jeûne à vos enfants, il paraît que cela a des vertus thérapeutiques. Enfin, ce qui peut déclencher les plus fortes crises chez l’islamophobe, c’est de voir, dans la rue, des gens s’agenouiller pour prier en se tournant vers le sud-est. Alors, amis musulmans, ne pourriez-vous pas apprendre à prier debout ? Après tout, comme Dieu est grand, ça ne doit pas faire une très grande différence pour lui ? Que vous soyez à genou ou debout, vous restez tout petit, non ?
Oui, il faut protéger notre société, et pour cela, évitons de provoquer des crises d’islamophobie dans le pays. On sait bien que sans les juifs, il n’y aurait pas d’antisémitisme. Et sans les musulmans, une partie de la population pourrait peut-être avoir une chance de guérir de l’islamophobie. Pensons à ces islamophobes, ne les stigmatisons pas, ils sont malades. Et malheureusement, comme la bêtise, l’islamophobie est une maladie contagieuse, médiatiquement transmissible. Il faut éradiquer l’islamophobie, et pour cela, mesdames en burkini, laissez-moi voir ce sein que vous ne sauriez cacher.
Tribune libre de Michaël Sens