Après la mort, on monterait au ciel. C’est pourquoi j’ai préparé mon brevet de pilote. Mais, les meilleurs experts n’ont pas pu me garantir que l’avion escaladerait au-delà de 5 à 7000 mètres, ce qui me semble très insuffisant au regard de la hauteur de vue du Très-Haut. Alors, j’ai renoncé. Je n’ai rien résolu, ni sur la « vie » après la mort, ni sur le passage de celle d’avant à la suivante.
Chemin faisant
Évidemment, il ne m’échappe pas que sur cette question angoissante a pu s’élaborer, au fil du temps, une vision du destin rassurante et peu dépaysante, à partir d’un résultat espéré plus que d’une approche causale. Mais comment procéder autrement lorsqu’on ne dispose d’aucun point de départ assuré ni d’un chemin tracé. Il faut juste situer l’endroit sur terre de Canaan promise aux hébreux, entre Tigre et Euphrate. Sauf que les humains ayant multiplié les crimes dans la région, il est probable que Dieu aurait relevé le pont levis, placé le lieu en altitude sur un beau nuage et créé l’échelle de Jacob pour que ses anges dévoués puissent aller et venir entre terre et ciel. En tout cas, la vie au jardin d’Éden semblerait paisible et nous n’y serions pas égarés. Nul besoin de boussole ou de GPS. Il suffirait de vouloir aller quelque part pour s’y retrouver. D’autant que, vu d’ici, il n’a pas la dimension terrifiante d’une Amazonie confiée aux soins de démons jardiniers. Ce qui interroge, c’est l’inévitable guerre qui devrait s’ensuivre pour trouver sa place et la conserver dans cette multitude pressée, en basculant par-dessus bord le surplus de concurrents.
– Comme vous pouvez l’observer, négligeant enfer et purgatoire, je ne m’intéresse qu’à la plus positive des options proposées par les écritures -.
Sur le plancher des vaches, il se passera probablement ce à quoi nous avons assisté face aux tours jumelles de New York. Une pluie de corps. En plus orageuse, je parie. Alors, un conseil : bannissez le parapluie qui risque de se transformer en fer à brochettes reproduisant, à grande échelle, l’affaire du clocher de Sainte-Mer-Église et de son parachutiste, John Steele le bien nommé (dit aussi « John Gros Cul » par ses compagnons d’armes). D’ailleurs, il est probable qu’à peine remis de leur commotion, les chuteurs retrouvent l’échelle de Jacob afin de tenter une nouvelle fois l’ascension.
Douceur du séjour
Les mieux préparés se seront soigneusement habillés, tandis que les moins rapides n’auront conservé que leur chapeau de paille et que d’autres encore, n’ayant pas retrouvé tous leurs débris, feront des morts décharnés par endroits. En revanche, je ne crois pas qu’il faille attendre de voir les esprits. Ils demeureront aussi transparents que mon âme que je ne parviendrai jamais à rencontrer, malgré la manie que j’ai prise de me retourner sur mes pas. J’aurais pourtant bien aimé lui serrer la main.
Ici et là, parmi les bosquets on retrouvera à l’odeur, les fumeurs de cigares regroupés autour d’une table de dégustation. Un peu plus loin, les dames essayeront les meilleurs parfums tandis que, non loin de là, la gastronomie mondiale fera assaut d’inventivité. Ne parlons pas des vignes du seigneur, de leur générosité, du bouquet de leurs vins qui feront tomber les dégustateurs dès la première gorgée. On passera aisément du carré musulman à celui des juifs avant de franchir l’arc de triomphe Daniélou pour valoriser l’épectase parmi les athées.
Bien sûr, il y aura des fleurs partout. En massifs, en bouquets, en guirlandes… et chacun pourra s’essayer à l’ikebana. Le Paradis, quoi ! Cependant, il y aura toujours foule devant la porte, quoiqu’on fasse appel aux capacités organisationnelles et disciplinaires des chinois. Mais, la compacité de la multitude risque de produire, au fil du temps, plus de citoyens qu’il y en avait à l’arrivée. Et les dames, courtoisement sollicitées par la police ne sauront que rarement désigner un père parmi la poignée qui leur sera amené manu militari. Pas question non plus de larguer d’avion des pilules contraceptives sur l’assistance, car Dieu serait furieux qu’on porte ainsi atteinte à sa dynamique nataliste, vu qu’il a lui-même pris la peine de descendre du ciel pour engrosser Marie !
Les jours s’écouleront sereinement, semblables et différents. Il y aura des Olympiades, précédées d’épreuves préparatoires, ou chacun sera récompensé, des bacchanales où s’oublier dans les bras de houris aimablement offertes par les guerriers du djihad croulants eux-mêmes sous les trophées, des stages de fabrication de hamacs et des échanges de recettes de couscous comme seule ma mère savait en faire, d’énormes parties de cache-cache et des jeux de mains pas si vilains qu’on le prétend.
Dans ces lieux idylliques, seul Dieu se tiendra invisible pour conserver l’aura de son mystère. Imaginez qu’il ait un poil grossier au nez dont tout le monde se gausserait ! De temps en temps, Il interviendra au haut-parleur pour encourager les occupants des lieux à profiter de Ses bienfaits ou, l’heure venue, souhaiter bonne nuit aux petits.
Lenteurs
Quoiqu’on fasse, cela prendra du temps. On ne renaît pas comme ça d’entre les morts. Songez au temps qu’il a fallu à votre mère pour vous mettre au monde. Au moins, ne souffrirez-vous pas comme elle. Et puis, vous promenant doucement pour que le temps coule avec suavité, vous irez vers le Sud, coiffé de votre chapeau de paille d’Italie, sur la rive du Guihon où vous trouverez à canoter en compagnie d’une houri souriante et lubrique. Comme tous auront l’éternité devant eux, chacun s’appliquera à laisser le temps au temps de façon à ne plus vivre la vie précipitée qu’il connaissait ici – bas. Il détaillera les couchers de soleil avec attendrissement et comptera chaque soir les étoiles allumées dans le ciel.
A vous observer, je vois dans vos yeux un rien de scepticisme. Vous ne me croyez pas ? Pourtant vous avez bien cru les sornettes narrées par vos ecclésiastiques. Certes, ils y mettaient de l’application mais la vraisemblance ne les étouffait pas. En tout cas, je vous assure que dans le Paradis qui nous attend, vous ne serez importunés par aucun serpent. Ils auront été éradiqués. Et puis, vous ne serez nullement contraint de choisir entre une pomme et l’ignorance, vu tous les fruits dont regorge le jardin au long des saisons. Vous vous ferez rapidement à cette profusion qui vous semblera tout à fait naturelle. Finalement, je croise les doigts. Si tout se passe comme je l’envisage ce sera assez sympa.