Ça claque comme un coup de colt dans l’air. Et pour cause. Il n’est pas si éloigné du cowboy assoiffé de liberté et de justice personnelle des westerns spaghetti des années 60. On ne se tromperait pas en disant qu’il en est même une version transcendée, transposée dans un futur très, très lointain. Takeshi Kovacs ne s’en va pas en nous tournant le dos, silhouette d’ombres avançant lentement au rythme de son fidèle compagnon à quatre pattes, face à un splendide soleil couchant. Non. Mais il s’en va dans ce monde dichotomique de science-fiction que nous donne à voir Richard K. Morgan, toujours tiraillé par ses ombres qui ne le quittent pas malgré les ré enveloppements et les siècles qui passent. Parce qu’il a beau changer de corps, de planète et même d’époque, Takeshi Kovacs a le même destin qu’un cowboy du far West : défendre ses valeurs et faire cavalier seul. Qu’on se rassure, tout comme le héros du film, ça ne l’empêche aucunement d’avoir entre ses bras une jolie femme si l’occasion se présente. Et bien plus souvent qu’à son tour !
Il est lui aussi ce voyageur solitaire, unique et multiple à la fois. Sans foi ni loi ou presque. Et pourtant, tout comme le cavalier au teint buriné et tanné par ses années d’errance sous le soleil du Texas ou du Nouveau Mexique, on ne désire rien d’autre que de le suivre avec délice et délectation. Nous voilà comme Bud Spencer, le compagnon fidèle, à le regarder avec plaisir extraire, dans des scènes de défouraillage à la violence plus que vraisemblable, des nuques de ses victimes, la pile corticale qui contient la personnalité et la mémoire des nouveaux humains.
Takeshi Kovacs, c’est ce héros qui n’en est pas vraiment un (sans être l’antihéros pour autant, entendons-nous bien) qu’on préfère avoir dans notre camp. Parce que s’il nous pointe et nous tient dans son viseur, il nous éparpille façon puzzle sans que l’idée qu’on pouvait éventuellement mourir n’ait pu se frayer un chemin jusqu’à notre conscience.
Malgré ses presque mille cinq cents pages au long de ses trois tomes (Carbone modifié, Anges déchus, Furies déchaînées), Richard K. Morgan ne nous lasse pas, pas plus qu’il ne nous laisse de repos. Le rythme est soutenu, l’image cinglante. On embarque avec Takeshi Kovacs dans des vaisseaux aux performances inégalées, on l’accompagne dans des mondes aliens, on est éclaboussé du sang de ceux qui cherchent à l’éliminer. Mais, même si on a les mains sales et les yeux éblouis par les assauts répétés des ennemis, on n’a qu’une envie, chevaucher à ses côtés. Lorsqu’enfin on arrive au dernier mot, le cœur nous pince, comme lorsqu’apparaît sur l’écran le générique de fin qui s’affiche sur le dos noir de notre cowboy. On sait qu’il y aura une suite, ou on l’espère avec ardeur, mais cela n’empêche pas la nostalgie de déjà s’installer dans nos esprits de mortels dévoreurs de livres.