Tout est une question de point de vue. Auriez-vous été un dinosaure dans une autre vie, que vous ne vous poseriez pas la question de savoir si la fin d’un monde est chose possible. S’il peut nous sembler peu probable que la vie humaine sur terre disparaisse d’ici les prochaines années, cela reste une possibilité. Une météorite dévastatrice, un incident cataclysmique non prévu, ne sont pas des choses qui peuvent être classifiées comme impossibles. Une attaque d’extraterrestres méchants et génocidaires nous semble impensable et honnêtement, ce ne sera pas le sujet de cet article, parce que je n’ai pas eu l’occasion d’interviewer d’extraterrestres, ni de météorites ou de dieu vengeur.
Par contre, si l’on considère que la fin du monde se situe sur une échelle graduée, qu’il peut y avoir des fins du monde plus ou moins prononcées, qu’une fin du monde peut être temporaire, ou partielle, alors le sujet devient réel, proche, et discutable.
Une fin écologique
Peut-être que la première pensée qui nous vient à l’esprit, quand on parle de fin du monde, est écologique. Au-delà des interminables controverses politiques qui agitent les climato-sceptiques et les partisans du réchauffement planétaire, il me semble évident que la pollution issue des activités humaines est une réalité sérieuse. Cette pollution résulte de nombreux facteurs, et on peut se moquer de ceux qui militent pour une politique écologique ambitieuse, en leur jetant à la figure que leur « principe de précaution » mène à l’inaction complète, mais on ne devrait pas oublier que dans cette matière, les actions que nous entreprenons aujourd’hui mettront peut-être des dizaines d’années avant de porter leurs fruits, et d’ici là la pollution aura peut-être déjà ravagé la planète au-delà du point de non-retour. La pollution a un effet délétère sur toutes les formes de vie, animales, végétales, les corps humains. Pesticides, déchets pétrochimiques, détergents, solvants, etc., sont des poisons qui affaiblissent constamment et progressivement la force vitale du monde, la santé des organismes et la vie sur terre. L’humanité disparaitra-t-elle pour autant ? Peut-être que non, ou peut-être ne disparaitra-t-elle que partiellement, ou seulement diminuera-telle en intensité. C’est déjà la fin d’un monde.
Mais la fin du monde n’est pas forcément un concept écologique. La fin de la communication vivante est aussi une fin du monde. Il est à la portée de chaque citadin de regarder autour de lui lorsqu’il est dans les transports en commun, et de découvrir que les gens ne se voient plus, tant ils sont absorbés par leurs smartphones. Ce n’est même pas que les gens ne se parlent plus, mais bien qu’ils ne sont plus conscients, ou quasiment plus conscients, de la présence d’autrui. Chacun s’enferme dans un chez soi virtuel qui se déplace même à l’extérieur. Et ça c’est la fin du monde, parce qu’ainsi le monde n’existe plus.
La consommation d’antidépresseurs et autres drogues et médicaments psychiatriques, qui bat des records dans nos pays occidentaux, est aussi une fin du monde, car elle éteint la conscience du monde, la conscience des autres, la conscience de soi.
La fin du monde est la fin de la conscience du monde
Finalement, il y a autant de fins du monde qu’il y a de fins de la conscience du monde. Conscience de l’impact que nos activités ont sur notre environnement, conscience de vivre dans le monde, conscience du fait que d’autres peuplent le monde, conscience d’exister dans un monde, sont les garde-fous qui font vivre le monde. Sans elles, c’est la fin.
Dans ses Cahiers, le terrible philosophe Cioran écrivait : « La fin du monde apparaîtra quand l’idée même de Dieu aura disparu. D’oubli en oubli, l’homme réussira à abolir son passé et à s’abolir lui-même. » Cioran était pessimiste, soit. Mais il n’avait pas tout à fait tort. Car la conscience du monde est un acte ou un état spirituel, né de ce que l’homme a de plus divin en lui. La conscience du monde est aussi, quelque part, la conscience de Dieu, qu’on l’appelle ainsi ou autrement, comme principe premier de Vie, à l’origine de la conscience elle-même. Le pessimiste dira que c’est trop tard. La fin du monde est consommée. Le réaliste dira que le monde se crée chaque jour, et finalement, c’est notre conscience de lui qui sauvera, ou pas, le monde de sa fin.