Les rebelles d’aujourd’hui sont-ils les adolescents de toujours? Après Freud il est vrai que nous avons tendance à penser que tout mouvement de rébellion révèle un complexe œdipien. Au risque de surprendre les lecteurs, le psychanalyste que je suis observe que tout adolescent n’est pas rebelle et tout rebelle ne souffre pas d’un complexe d’Œdipe. Il ne faudrait tout de même pas utiliser ce dernier concept sur le mode de la psychiatrie de régime, c’est à dire comme un sédatif à injecter aux gens qui auraient un penchant un peu trop prononcé pour les révolutions.
Avec ou sans Œdipe
Non, même si les rebelles postmodernes paraissent plus romantiques que leurs prédécesseurs, ils sont, avec ou sans Œdipe, toujours ceux qui luttent contre les injustices et les abus de pouvoir que l’establishment revêt trop souvent des habits de la normalité. Ils luttent comme des lions contre les dragons et autres monstres de l’ignorance et de la mauvaise foi, même quand toutes les apparences et les bien pensants sont contre eux. Quand ces derniers disent noir, eux, les rebelles, osent douter et essayer d’entrevoir d’autres couleurs à peine esquissées qui sans leur intervention passeraient inaperçues. Ils flirtent avec la libre pensée tout en sachant qu’il s’agit d’une union difficile et intermittente. Ne sommes-nous pas, en effet, plus souvent pensés que pensants ?
Chasseurs de lumière
Et pourtant, grâce à cette attitude, quelques éclats de lumière ne manquent pas de jaillir des ténèbres alors que l’ignorance, glissant sur le fond savonneux de la présomption du savoir, transforme les bien pensants en possédés. Surtout, ils sont, aujourd’hui, ceux qui osent remettre en question les paradigmes scientistes souvent érigés en dogmes et qui résistent à la vue du plus abject de tous les démons : celui qui se pare des enchantements aussi macabres que puissants dont les seuls noms suffisent à anesthésier toute communauté : Progrès, Développement, Croissance, PNB, Libéralisme, Mondialisation, Profit… Économie.
Un système bouclé
Par leurs œuvres, chacun à sa manière mais tous fidèles à la voie singulière orchestrant leur individuation, ils participent au grand dévoilement de cette Maya moderne qu’est devenu le « système » : une entité abstraite dont la complexité nous dépasse, bouclée sur elle-même, apte à étouffer tout espoir de s’en sortir, qui n’a d’attention que pour elle-même et… qui ne bénéfice qu’à elle-même. Car, disons-le haut et fort, nous pendons tous, riches et pauvres, faibles et puissants, aux fils de ses doigts comme des marionnettes. Et je crains qu’aucun Guignol ne s’entrevoit encore à l’horizon.
Être rebelle, c’est viser l’équilibre
Ces rebelles qui, paraphrasant le beau slogan que notre directeur Jean – Luc Maxence a choisi pour ce magazine, visent l’équilibre plutôt que la perfection ou l’emphase, ne tombent pas nécessairement dans le panneau dressé, souvent à leur insu, par les partisans d’une approche systémique par trop optimiste. L’intuition leur souffle à l’oreille que la technosphère ne courtise la biosphère que pour mieux la violer. Bien sûr, ils constituent aussi, par leurs choix vertueux de vie, à cette intelligence de la planète qui n’en finit pas de nous surprendre et nous dépasse de toute façon, ne serait-ce que par le biais d’un minuscule virus qui réussit, peut être même davantage que les rebelles humains, à mettre en crise la gigantesque machine économique pour laquelle nous faisons office d’engrenages bien huilés.
L’avenir du monde se jouera donc, assurément, entre ces tout petits rebelles constituant la goutte d’eau qui, pour reprendre la parabole attribuée à Mère Thérèse de Calcutta, manquerait à l’océan, et ces fanatiques de la religion économique « confinés » dans leur gargantuesque connerie.