Le glam rock est un mouvement musical et culturel essentiellement britannique. Peu d’observateurs avertis auraient pu prédire sa naissance tant son existence même semble improbable pour l’époque (1971-1975). Mais à bien y regarder, ce mouvement plonge ses racines dans la tradition britannique tout en étant une réponse à une lassitude des adolescents face au rock progressif et parfois ennuyeux de ces années-là.
Parlons d’Oscar Wilde, tout d’abord. A la fois prophète, propagandiste et martyr du dandysme du 19è siècle, il a laissé une empreinte profonde dans la culture. Ses traits d’esprits, ses paradoxes ne manquent pas d’une solide capacité d’observation. Surtout, il a lancé la mode d’une certaine préciosité « so british ». De la préciosité à l’androgynie puis à la bisexualité, voire l’homosexualité, il n’y a qu’un pas qui peut être vite franchi car tout ceci est « vendeur » et délicieusement sulfureux pour la jeunesse de ces années-là qui cherche encore ses repères dans un monde fondamentalement puritain. Bien sûr, tout ceci est surtout une question d’image, de présentation et on apprendra des années plus tard que la majeure partie des acteurs du Glam Rock étaient en fait de purs hétérosexuels. Et c’est aussi là que la tradition rejoint le glam rock : en Angleterre, dans les spectacles de music-hall, de vaudeville, il était courant que les hommes se travestissent en femmes pour les besoins du jeu d’acteur.
En 1970, le rock est malade d’une intellectualisation contre nature. Les solos de guitare de 20 minutes et les expérimentations outrancières pullulent. De plus, les Beatles sont séparés et ce sont des millions de jeunes individus qui se sentent orphelins. Le glam rock va résoudre tout ça en apportant une réponse haute en couleur, pleine de paillettes et d’étoiles et contenant des chefs-d’œuvre qu’on achète et écoute encore de nos jours. Que la fête commence, que la fête soit !
Plutôt que de représenter la chronologie du glam rock comme je le fais pour le cycle disco, j’ai trouvé plus judicieux de consacrer un article, voire plusieurs, à chaque acteur du genre.
Marc Bolan a toujours été en phase avec son époque et même un petit peu en avance. Une photo de lui en “mod”, au début des années 60, inaugure la longue carrière d’une personne très soucieuse de son image. Dans la deuxième partie de cette décennie, il fondera avec Steve Peregrine Took (et oui, le nom d’un personnage du Seigneur des Anneaux) un duo acoustique (guitare sèche et percussions) du nom improbable de Tyrannosaurus Rex. Au bout de quelques albums, le percussionniste sera remplacé par Mickey Finn qui, sans être aussi inventif que le précédent, apportera un surplus de présence scénique à l’ensemble.
Sans être un succès national britannique, ce groupe deviendra le chouchou de la scène underground londonienne. Leurs paroles sont empreintes d’une poésie à la Tolkien et frayent parfois avec l’ésotérisme.
En 1970, Marc Bolan se munit d’une guitare électrique, raccourcit Tyrannosaurus Rex en T. Rex et, en bon fan d’Eddie Cochran qu’il est, revient aux sources d’un rock ‘n’ roll classique auquel il ajoute des éléments inédits : section cordes et chœurs hauts perchés. Il est à noter que son producteur, Tony Visconti, est pour beaucoup dans cette évolution. Celui-ci est un arrangeur expert et un véritable sorcier de la table de mixage. On peut dire que T. Rex c’est Marc Bolan + Tony Visconti + les musiciens talentueux qui les accompagnent.
Dans leur premier album éponyme, T. Rex commence à intégrer des éléments rocks dans le duo acoustique. “Is This Love” en est un parfait exemple :
Puis, ils sortent un single dans la même veine. Le résultat est immédiat : “Ride A White Swan” crée et met en orbite le glam rock :
Le jour où ce morceau est devenu N° 1, Marc Bolan, Tony Visconti et Mickey Finn ont voulu fêter ça au restaurant. Ils se sont retrouvés dans la situation étrange où, bien qu’officiellement des vedettes, ils étaient encore à ce jour des artistes pauvres, n’ayant pas encore touché les droits d’auteurs et droits sur les ventes. Et le fait de fouiller dans leurs poches pour trouver quelques malheureux billets pour payer le restaurant est resté dans leurs esprits comme un grand moment de surréalisme !
Pour achever sa mutation, T. Rex s’adjoint un batteur et un bassiste excellents, Bill Legend et Steve Currie, dont on ne dira jamais assez la grande part qu’ils ont pris dans l’élaboration du son T. Rex. Leur premier enregistrement est “Hot Love” et la T. Rexmania est lancée :
L’apparition de Marc Bolan dans l’émission Top Of The Pops, maquillé, avec des étoiles et des paillettes et des poses androgynes, signera le cahier des charges du glam rock dans une présentation tout à fait en phase avec la tradition britannique du music-hall et de la préciosité d’Oscar Wilde.
La prochaine fois : l’album Electric Warrior