Une metteuse en scène créative engagée auprès de ses comédiens : Nathalie Béasse. Une écriture de plateau dynamique qui place la sensation, le corps et l’interaction des hommes et des éléments au cœur de son travail scénique. Un travail toujours déroutant et interpellant dans sa pièce Nous revivrons.
Avec Nous revivrons, Nathalie Béasse répond à une commande particulière du TNS et du Centre dramatique de Colmar : créer un spectacle itinérant dans les villages alsaciens avec 3 ou 4 jeunes comédiens issus de la formation Premier Acte qui promeut la diversité sur les plateaux. Un texte support : l’Homme des bois de Tchekhov, une petite pièce considérée comme l’esquisse d’Oncle Vania. Le spectacle dure 1H.
Un texte morcelé et un effacement des thèmes tchekhoviens
Quiconque regarde la pièce sans connaître l’Homme des bois ou bien Oncle Vania peut être perdu. D’abord parce qu’en guise de prologue, les trois comédiens, une femme et deux hommes, Mehmet Bozkurt, Soriba Dabo, Julie Grelet, se présentent comme jouant plusieurs rôles et pour finir disent qu’il n’est pas important de savoir quel rôle joue chacun d’eux. Les personnages alternent dans la bouche des comédiens, créant une énonciation brouillée pour ne faire entendre que des propos thématiques comme le bonheur, l’écologie, la famille par exemple. Nous nous sommes demandé quelle réception de cette pièce pouvait avoir le spectateur qui ne connaît pas les deux œuvres du dramaturge russe, tant le texte est tronçonné, pulvérisé dans un jeu de scènes qui laisse place essentiellement au corps en mouvement. Difficile de reconnaître aussi les personnages mêmes de l’Homme des bois, l’étudiant médecin propriétaire terrien, Khrouthchov, Voïnitzki le régisseur et beau-frère de Sérébriakov, Sérébriakov lui-même car les thèmes de la jeunesse et du vieillissement, emblématiques de l’auteur, ont été volontairement écartés ou pâlis.
Le décor minimaliste avec mur blanc en fond, une table trois chaises, un masque de cerf, des ventilateurs, une bâche en plastique poubelle, une planche de bois, une scie… n’évoque en rien la datcha mais un atelier contemporain d’arts plastiques ou bien une scène de théâtre avec ses accessoires visibles et ses comédiens en quête d’une écriture de plateau. Du théâtre dans le théâtre.
Et pourtant une recherche théâtrale expérimentale intéressante
De quoi parle-t-on et que joue-t-on finalement ? Un théâtre qui joue sur la mémoire des spectateurs et de la metteuse en scène, un théâtre à l’écoute d’une jeune génération invitée à deviner et recréer un monde maintenant en péril, car si ce dernier se déconnecte de ses origines, il lui reste à le réinventer. Le titre de la pièce « Nous revivrons » au futur, s’entend comme une projection positive d’un monde nouveau.
L’imaginaire que développe la scène va jusqu’au gag souvent poétique. La tête dans un seau d’eau pour évoquer la pluie torrentielle qui tombe sur la forêt. On parle de « bois » et la voilà une tête de cerf. Un caillou qui ripe sur la table en bois traduit le roulement du tonnerre. Des bâches légères en plastique soufflées par un ventilateur qui les soulève, évoque les tornades de vent et puis des comédiens qui courent après elles, s’y enveloppent et chutent. Ou encore des seaux de terre que l’on répand sur la scène au moment où Sérébriakov décide de vendre la datcha. Voilà un vocabulaire scénique ludique et parfois naïf, propre à séduire un public adulte jeune, si nous en croyons les rires étouffés entendus ce soir-là. Sans doute l’écoute d’une génération qui verra se transformer la nature en copies d’une existence animale, végétale et minérale révolue pour n’être qu’un souvenir pictural, celui du triptyque mural final.
Personne ne peut être insensible à ce travail original, parfois hypnotique et exigeant pour le spectateur et qui tient les textes à distance pour les éclairer autrement.
Nous revivrons, Théâtre de la Bastille, Paris, jusqu’au 14 mars à 20H, du 15 au 17 mars à 19H, du 18 au 31 mars à 20H. Relâche le dimanche et le jeudi 9 mars. Durée : 1H