Les opus proposés par les féministes sont parfois rébarbatifs, pour des hommes, mais aussi pour des femmes. Il peut s’agir selon les cas du ton, du thème, de l’analyse, de l’argumentation… Il est vrai que le vécu et la situation des femmes justifient souvent des partis pris dérangeants et des postures radicales. Il est également incontestable que ces contributions participent d’une prise de conscience collective qui n’adviendrait pas spontanément. Il est même probable que ces apports concourent directement à la construction d’un environnement favorable à l’égalité de genre et à l’éradication des discriminations.
Parallèlement, certains ouvrages de féministes privilégient des approches plus accessibles aux esprits moins militants. Michelle Perrot s’inscrit dans cette lignée. Au fil de ses entretiens avec un de ses anciens élèves, sans abandonner sa casquette d’historienne, elle conjugue l’intime et le théorique, l’analyse sociale et l’autobiographie. En peu de pages, elle parvient à rendre vivante les grandes figures du féminisme d’hier et d’aujourd’hui et emmène le lecteur – et la lectrice – dans son cheminement, de l’engagement chrétien au féminisme, en passant par le communisme. Elle confesse avoir compris combien il était difficile, collectivement, de changer les rapports quotidiens, les représentations, les systèmes de pouvoir. En mobilisant tout à la fois une rigueur d’analyse, un peu de recul et une volonté d’être entendue et comprise, Michelle Perrot fait la démonstration que la lutte pour l’égalité des genres peut être conduite avec modestie, conviction et empathie. Lorsque s’ajoute à ces ingrédients de fond une élégance et une richesse de forme, le lecteur est convaincu et conquis. La conjugaison de ces niveaux de traitement, parfaitement maitrisée par l’autrice, contribue à porter un regard lucide et avisé sur les différences de genres et leurs conséquences. Cette vision n’est pas formellement révolutionnaire, mais son propos n’est sans doute pas d’attiser le feu. Il s’agit plutôt d’ouvrir les consciences et de les responsabiliser sur le rôle qu’elles peuvent jouer en vue d’une acceptation partagée de l’impératif d’égalité. Pour Michelle Perrot, « les » féminismes doivent être complémentaires plutôt que sectaires, et prendre en compte tous les paramètres de la condition féminine, sociaux, raciaux : « le genre (est) un outil de compréhension, pas un système de pensée ».