Originellement publié dans le Rebelle(s) n°4 en mai 2016.
Il y a une liberté plus générale que celle de croire qui est menacée par les controverses en matière de « sectes ». Il s’agit de la liberté comme immunité de l’intervention de l’État dans tous les secteurs dans lesquels cette intervention n’est pas indispensable, sur la base du principe de subsidiarité, rappelé par le droit communautaire européen. Alors que l’on déclame en faveur de la liberté dans l’abstrait, les libertés concrètes sont menacées par la tendance de l’État moderne à l’étatisme et au sans-gêne, tendance qui semble inscrite dans son code génétique.
Si l’on ne surveille pas de façon suffisante ce sans-gêne, il existe le risque que l’État moderne multiplie l’arsenal des armes pouvant pénétrer dans la sphère des libertés des individus et des associations. Quelques-unes de ces armes – par exemple la pression fiscale excessive et vexatoire qui devient persécution fiscale, et l’activisme incontrôlé des appareils judiciaires – sont assez connues et objet d’un débat animé. Il semble qu’en agitant la problématique des « sectes » l’État moderne se soit doté d’une arme encore plus dangereuse, si c’est possible. Il s’agit du droit, que certains États voudraient s’attribuer, d’examiner si l’adhésion à une réalité associative déterminée est libre et raisonnable, ou si déraisonnable qu’elle fasse soupçonner la présence d’une forme de manipulation mentale. Dans le deuxième cas, la réalité associative en question est définie comme une « secte » religieuse ou non : en effet on parle aussi de « sectes » politiques, économiques, etc. Comme « secte », on déclare qu’elle doit être soumise à toute une série de vexations administratives car elle est « dangereuse ». Dans un premier temps on parlait de « lavage de cerveau ». Dans un second temps – après que cette étiquette eut été critiquée et même ridiculisée par la psychiatrie et la sociologie universitaires – sont nées les théories du lavage de cerveau dites de seconde génération. Elles abandonnent l’étiquette controversée et la métaphore des cerveaux lavés, mais maintiennent la même substance que les théories précédentes sous la bannière de la « manipulation mentale ».
Les théories de lavage de cerveau dites de seconde génération
Les théories du lavage de cerveau – de première ou de seconde génération – sont récusées par la partie majoritaire de la psychiatrie et de la psychologie universitaires et par les spécialistes des nouveaux mouvements religieux. Cela ne signifie pas – naturellement – que la propagande des nouveaux mouvements religieux soit toujours correcte, pacifique et linéaire. Souvent elle est violente, dénigrante à l’égard d’autres expériences religieuses, et même trompeuse, dans le sens qu’elle comprend de véritables mensonges.
Mais, depuis que la publicité moderne existe, les techniques publicitaires et les mensonges – même sophistiqués et astucieux – avancent ensemble dans l’histoire des coutumes occidentales, et pas seulement dans le domaine religieux. Dans tous les domaines – religieux compris – on peut prendre des mesures pour la protection du consommateur, dont la meilleure serait l’éducation de ce dernier afin qu’il puisse effectuer des choix en étant informé. La publicité mensongère ou incorrecte reste toutefois bien différente d’une technique prétendument « magique » et irrésistible de manipulation mentale, qui distinguerait les « sectes » des religions.
Le lavage de cerveau et la manipulation mentale n’existent pas !
Le lavage de cerveau et la manipulation mentale ont donc deux caractéristiques fondamentales. La première est qu’ils n’existent pas. La seconde est que n’importe qui peut être accusé de les utiliser, de la même façon qu’il peut être reproché à quiconque de se servir d’une arme inexistante et invisible. Face à n’importe quelle croyance, mouvement, association, on trouvera toujours quelque individu prêt à soutenir qu’il s’agit de réalités tellement aberrantes et déraisonnables que seules des techniques raffinées de manipulation mentale peuvent convaincre d’y adhérer. Il ne sera certainement pas difficile de trouver quelque représentant marginal de la profession psychiatrique prêt à traduire ces accusations en un jargon pseudoscientifique.
On trouvera toujours également quelque activiste politique pour traduire tout ce jargon différemment, en affirmant que l’on se trouve face à des groupes « totalitaires » qui, par la manipulation mentale, violent la liberté des personnes et les droits humains. Soutenues par les témoignages de quelques ex-membres hostiles pour lesquels la manipulation mentale est une explication commode à leur adhésion passée, de telles accusations peuvent être lancées contre n’importe quel mouvement. Le bâton de la lutte contre la « manipulation mentale » – ou tout autre nom « de seconde génération » que l’on préfère donner au « lavage de cerveau » – peut tomber sur la tête de n’importe qui : même de ceux qui aujourd’hui applaudissent celui qui frappe. Si le bâton est laissé à l’État moderne – envahissant par nature, comme nous l’avons déjà dit –, les dangers pour la liberté deviendront intolérables. Il s’agit – réellement – d’une arme trop mortelle pour être laissée en circulation ; on doit, le plus rapidement possible, l’arracher des mains de quiconque est tenté de s’en servir.
Certes l’État a le droit de punir les malfaiteurs, même ceux – et ils ne manquent pas – qui ont élu domicile à l’intérieur d’un mouvement religieux, ancien ou nouveau. Mais pour les frapper il existe d’autres instruments. La théorie de la manipulation mentale, qui est au coeur de l’accusation « c’est une secte », s’avère un bâton qui, de par sa nature même, a tendance à frapper au hasard, coupable ou innocent. Et c’est une arme dangereuse quelle que soit la personne qui la tient.