Il n’est plus mortel péché que celui de l’imbécillité bien intentionnée. Ainsi, pour une meilleure inclusion des femmes, l’inclusion orthographique et, contre la dissolution sexuelle, la dissolution iconographique.
Orthographe
Bien qu’apparemment très louables, les deux démarches sont terriblement inquiétantes, parce qu’elles pèchent à la fois contre la raison et contre l’esthétique. Deux mots d’explication, d’abord à propos de l’écriture inclusive.
« Les cavalier·ère·s hautain·e·s furent contraint·e·s de s’arrêter, par des policier·ère·s tenant en laisse des chien·ne·s très hargneu·x·ses»
Essayez, pour voir, de faire plus compliqué, plus long et plus laid. Ou bien tentez de lire à voix haute. Impossible tel quel. Heureusement les réformateurs ont tout prévu, et l’horrible serpent s’étire à l’oral: «Les cavaliers et les cavalières hautains et hautaines furent contraints et contraintes de s’arrêter, par des policiers et des policières tenant en laisse des chiens et des chiennes très hargneux et hargneuses». Flaubert et Proust en frémissent sous terre. Et à notre époque des textos, ça va être dur à faire avaler !
Plus grave encore, la réforme pèche contre l’esthétique : ce morcellement des mots est une destruction visuelle, la première du genre. Autant les tirets qui relient les composants d’un mot (fesse-mathieu) solidarisent élégamment chacun d’eux, et autant les parenthèses suspendent un instant la respiration, autant cette fois l’emploi du fameux «point médian» disloque le mot, comme des cicatrices sur un beau visage.
Sexe et cinéma
Après le texte, passons au sexe, je veux dire aux nouveaux péchés qu’il entraîne. Effacer un acteur de toutes les scènes de son dernier film1, en raison de poursuites judiciaires en cours pour délits sexuels, voilà du jamais vu. Car la confusion est totale entre la vie privée (même rendue publique) et l’art. La boîte de Pandore ainsi ouverte est terriblement dangereuse: elle va nous inciter à reconsidérer, voire à modifier, tout le passé artistique (films, tableaux, musique…) et littéraire, non seulement à l’aune des critères moraux, mais de nos critères moraux actuels. Le péché contre la raison se double cette fois d’un péché contre l’esthétique, plus grave encore. S’ajoute ici le péché d’hypocrisie, car l’affaire pue le fric : les multiples réactions médiatiques hostiles à l’acteur laissaient prévoir un boycott du film, aux conséquences calamiteuses pour la production.
Faudra-t-il désormais, par précaution, enquêter sur la vie privée d’un artiste ou d’un écrivain avant de se lancer dans un spectacle, une exposition, une publication? L’opprobre s’arrêtera-t-elle aux affaires de mœurs, ou s’appliquera-t-elle bientôt à tel comportement envers les animaux, telles plaisanteries tenues en public sur les handicapés, ou au taux de pollution automobile de la célébrité en question?
Nous marchons d’un pas d’aveugle vers un enfer, dont les bonnes intentions qui le pavent nous tordent curieusement les chevilles.
Patrick Le Divenah
1. Kevin Spacey, dans «Tout l’argent du monde».