Le 9 décembre est la date anniversaire de la promulgation de la loi de 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État , texte considéré comme fondateur de la laïcité. La laïcité constitue le cadre qui rend possible la manifestation de la diversité sans morcellement communautariste de l’espace civique.
La question primordiale est la suivante : quel type d’union, pour des êtres dont les convictions spirituelles sont diverses ? L’unité du laos, selon l’étymologie grecque est celle d’une population dont nul individu ne se distingue des autres par des droits ou des pouvoirs particuliers. Le simple laïc est l’homme du peuple, croyant ou non, distinct du clerc, qui quant à lui est dépositaire d’une fonction repérable dans l’administration du sacré.
Le principe laïque d’union du peuple traduit l’indifférenciation des simples laïcs : liberté de conscience, égalité de tous, indivisibilité d’un corps politique fondé sur l’identité universelle des droits détenus par chacun. Un tel principe n’est donc nullement contradictoire avec la foi religieuse, puisqu’il construit l’ordre politique en faisant abstraction des positions spirituelles des uns et des autres.
Notons que l’idée d’un monde commun à tous, d’une res publica, s’esquisse largement dans ce principe d’indivision du peuple, du laos. Certes, les communautés de foi ou de représentation du monde ne sont pas négligeables. Mais elles ne concernent que ceux qui s’y reconnaissent librement. Toute la question est donc de savoir comment concevoir la diversité dans l’unité, comment les articuler d’une part sans que la diversité compromette l’unité, d’autre part sans que l’unité opprime la diversité.
Le refus par l’État de toute sujétion envers les églises équivaut au sens large à la laïcité. La doctrine de la laïcité de l’État a pris naissance en France, où elle a été élaborée de la manière la plus systématique et la plus homogène. Elle s’est développée principalement face à l’église catholique à cause de la centralisation et de la rigueur des dogmes de cette église. Mais si l’État ne saurait abandonner la sauvegarde de l’ordre public, la conscience personnelle ne saurait, elle, abdiquer.
Jésus Christ précurseur de la laïcité
C’est Jésus Christ qui, le premier, pose le principe de la distinction entre les domaines spirituel et temporel : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Mais Rome refuse de reconnaître son incompétence en matière spirituelle et les chrétiens sont persécutés pendant trois siècles. La lutte entre le sacerdoce et l’empire connaît de nombreux épisodes et les conflits entre le pape et le roi de France commencent en 1300 avec Philippe le Bel.
L’histoire de France est ensuite jalonnée d’événements qui marquent les relations tantôt houleuses, tantôt cordiales entre l’Église et l’État
Dès l’installation de la Troisième République, ce sont des “laïques” – le terme commence à être employé – qui conserveront la majorité au Parlement et exerceront longtemps le gouvernement : Gambetta, Jules Ferry, Clemenceau, Waldeck-Rousseau, Combes, Viviani, qui sont en communion d’idées entre eux et avec des penseurs comme Lavisse, Buisson, Littré, Fouillée, Macé.
Pour instaurer la laïcité, on se sert des institutions en décrétant la laïcisation de l’école et la séparation des églises et de l’État. « La guerre entre nous n’est pas dans les chemins creux. Elle est dans l’école », dit Clemenceau.
Aristide Briand est l’artisan de la loi qui est votée, le 9 décembre 1905. Elle contient des dispositions libérales : respect de la liberté de conscience, du libre exercice des cultes et de l’organisation interne des religions (bien que la structure hiérarchique du catholicisme soit considérée par certains laïques comme antirépublicaine), mise à la disposition gratuite des différents cultes, d’édifices religieux publics.
Une enquête récente CSA-Le Monde-La Vie fait apparaître dans la population française trois types de conviction spirituelle. Les croyants représentent environ 58 %, si l’on additionne dans cette catégorie les femmes et hommes qui jugent l’existence de Dieu certaine (24%) et ceux qui la jugent probable (34%). Ces derniers pourraient tout aussi bien s’apparenter aux agnostiques, qui déclarent inconnaissables et incertaines les choses de l’au-delà (agnostos : inconnaissable). Les athées sont environ 41%, si on additionne ceux qui excluent l’existence de Dieu (22%) et ceux qui la disent improbable (19%).
Reste 1% de personnes qui ne se prononcent pas du tout, et représentent le véritable agnosticisme.
– Un croyant fonde ses valeurs sur la référence à une transcendance divine (cf. Augustin, Averroès, ou Levinas).
– Un athée ne croit pas en Dieu, mais il peut fonder ses valeurs sur d’autres principes (cf. Sartre, Bertrand Russel ou D’Holbach).
– Un agnostique suspend son jugement, mais il peut concevoir une morale naturelle de l’homme (cf. Protagoras, ou Hume).
La laïcité n’est pas antireligieuse
Il faut se poser la question du type d’organisation qui permettra aux tenants de ces trois options spirituelles de vivre ensemble. La question essentielle est donc bien : à quels principes doit répondre l’organisation politique pour que les divers croyants, les athées, et les agnostiques, jouissent exactement des mêmes droits et puissent ainsi se reconnaître également dans la Cité qui les réunit ?
La liberté de conscience est première, comme l’est la liberté humaine : elle n’est pas un bien que l’on peut perdre, qui serait accordé ou non, car il s’inscrit dans l’être de tout homme, non dans son avoir. C’est en ce sens qu’après Rousseau une telle liberté est dite inaliénable Elle est plus large, plus générale que la liberté de religion ou liberté religieuse, puisqu’elle se réfère au libre choix que permet l’ensemble des options spirituelles. Elle échappe aux ambiguïtés de la tolérance politique, dont Condorcet et Mirabeau ont souligné qu’elle relève d’une inégalité entre ceux qui tolèrent et ceux qui sont tolérés.
À l’inverse, l’Union Soviétique stalinienne persécutant les religions au nom d’un athéisme officiel a autant bafoué la laïcité que l’Espagne franquiste qui imposait le catholicisme comme religion d’État (« national-catolicismo »).
Il est donc clair que la laïcité n’est pas antireligieuse, et qu’elle ne relève nullement d’un athéisme implicite ou explicite. Il est clair également que la laïcité n’est pas hostile à l’athéisme comme tel : elle rejette tout simplement l’athéisme officiel qui voudrait s’imposer politiquement.
Une idée neuve pour le XXIème siècle
Dans le respect de l’héritage du légitime combat pour la laïcité, la question qui se pose aujourd’hui est la suivante : au début de ce nouveau millénaire, devant l’explosion technologique et les mutations inéluctables de la société, devant le terrorisme et le séparatisme islamiste qui menacent nos démocraties, la laïcité doit-elle retrouver la vigueur de ses premiers combattants ?
De plus le respect de la laïcité pose actuellement des questions dont les réponses semblaient acquises au début du siècle dernier.
– Peut-on afficher ou revendiquer son appartenance religieuse ?
– Jusqu’à quel point peut-on tolérer les signes religieux extérieurs ?
– Peut-on critiquer les religions ?
– Peut-on blasphémer ?
– Faut-il autoriser les fêtes religieuses qui ont un impact sur la vie en société ?
etc.
Ces questions avec d’autres prennent une valeur particulière à l’heure ou se discutent des lois confortant le respect des principes de la république et que certains sont gagnés à un ligne dite de laïcité ouverte ou inclusive par opposition à une laïcité dite radicale
On se souvient peut-être que Jean Louis Bianco, directeur de l’observatoire de la laïcité qui a été dissous récemment, avait dénoncé les propos d’Elisabeth Badinter qui avait dit que « le terme d’islamophobie n’avait pas de sens puisqu’il est loisible à chacun au nom de la liberté d’expression de critiquer toutes les religions ».
Autre question : peut on blasphémer ?
En 1881 Monseigneur Freppel avait accusé la presse qui, au nom de la liberté, blesse les consciences religieuses par la publication de caricatures « contre ce qu il y a de plus auguste et de plus sacré dans le monde, c’est à dire Dieu ». Le débat n’est pas nouveau. Clemenceau lui avait répondu que Dieu n’avait pas besoin de la chambre des députés et qu il se défendrait bien tout seul.
Pour conclure, voici une citation de Catherine Kintzler : « Le régime laïque a de grands atouts. Il doit historiquement sa naissance à l’expérience séculaire de la confrontation avec une grande religion hégémonique qui contrôlait l’ordre politique et l’ensemble des actes civils. Or nous sommes à nouveau face à de telles prétentions religieuses à faire la loi ». C’est par définition un combat laïque.
Mais au delà du principe de laïcité stricto sensu qui vise le domaine de l’autorité publique et grâce à lui, partout ailleurs y compris en public, dans l’infinité de la société civile, la liberté d’expression doit s’exercer dans le cadre du droit commun.
La laïcité reste donc une idée neuve pour le XXIème siècle. Elle constitue le cadre qui rend possible la manifestation de la diversité sans morcellement communautariste, préservée à la fois comme fondement de paix et comme horizon d’universalité.
Clément