François Staal, chanteur de rock poétique français, revient avec un nouvel album, « L’Incertain ». Apprenez à découvrir ou à redécouvrir cet artiste lucide, à l’univers marqué et non aseptisé.
Christophe Diard – Qu’est-ce qui t’a amené à faire cet album avec ces sonorités-là précisément ?
François Staal – Il y a une continuité avec les albums précédents, mais on peut également parler d’un petit virage.
Les concerts m’ont motivé à aller dans cette direction-là et l’envie aussi de rester sur un son très orienté sur les amplis, les instruments, de ne pas utiliser de digital et d’aller plutôt vers un son organique. Et aussi d’insérer des moments un peu plus musicaux.
Mes textes sont fournis, très travaillés et ce n’était pas mal, je trouve, de mettre des moments où on pouvait se laisser porter un peu plus par la musique, d’où le fait qu’il y ait des morceaux un peu plus longs.
J’avais également envie d’aller plus loin dans mes retranchements.
Toute cette alchimie m’a amené à faire cet album-là.
Pourtant on peut dire que tu as des influences nettement américaines, dans les sonorités par exemple. Alors pourquoi le français ?
D’abord je n’ai pas un très bon accent en anglais. Je maitrise bien la langue mais ma manière de la parler n’est pas assez cohérente pour chanter en anglais.
L’autre raison est que j’adore la langue française.
Je m’amuse beaucoup avec, je ne sais pas si je la maitrise, tellement elle est riche et incroyable, mais c’est ma langue de prédilection. Et chanter en anglais, ça implique de le faire d’une autre manière…
Le français me correspond parfaitement, au fond.
Ta vie n’a pas l’air d’avoir été un long fleuve tranquille.
Non et je dirais même qu’avant mes vingt ans mon histoire est assez délirante. Je pourrais presque être taxé de mythomanie, alors que tout est vrai…J’ai beaucoup vécu en France, entre la Normandie et le sud. J’ai vécu un petit peu en Italie, aussi, à un moment donné. Et beaucoup à Paris…
Pourrais-tu nous en dire plus ?
Je suis issu d’une famille compliquée, post soixante-huitarde. D’une famille plutôt artiste, intellectuelle, etc…
Je côtoie, enfant, énormément d’artistes, des photographes, des architectes… Je baigne là- dedans. J’ai eu comme « presque beau père » Chris Marker, et un prix de Rome d’architecture. J’ai donc vécu pendant un an à la Villa Médicis, puis je me suis retrouvé dans une secte pendant une année, un peu de force, et je m’en suis échappé le plus vite possible. J’ai côtoyé l’Art Ensemble of Chicago, qui répétait dans le même loft que Chris Marker.
J’avais été dans des collèges chez les curés avant cela.
Je suis d’ailleurs en train d’écrire un roman en parallèle, où je reprends certains éléments de ma vie. Ce sera inspiré de ce que j’ai vécu.
Il y a donc eu beaucoup de déracinements dans ton existence, est-ce que cela a été difficile ?
Oui. J’ai ensuite vécu un an ou deux du côté de Millau et après j’ai été à la rue.
J’ai pris la décision de prendre ma propre direction et je suis parti de rien.
Des amis m’abritaient, mais j’ai été sdf. À partir de là j’ai commencé à me reconstruire, vers vingt ans.
J’ai gardé un traumatisme de cette époque, et j’ai encore extrêmement peur de me retrouver à la rue aujourd’hui.
Quand je vois ce qu’il se passe, à notre époque, c’est plus dur pour moi encore.
Cela fait partie des thèmes que j’aborde aussi dans mes chansons.
Tu n’es donc pas étranger aux grandes questions sociales ?
Pas du tout.
Quel est ton regard, avec le recul, sur cette période ?
Il y a du magnifique, quand tu es à la Villa Médicis, ado, l’été, avec Balthus et des architectes, quand tu vis à Rome…
Pareil, quand tu es à coté de Chris Marker qui monte Le fond de l’air est rouge à l’époque, ou quand tu côtoies l’Art Ensemble of Chicago qui t’apprend à jouer du saxo… Mais il y a un prix à payer pour la liberté, et ce prix-là est violent.
Le côté merveilleux de la liberté c’est qu’elle m’a énormément construit sur la capacité que j’ai d’être inventif, créatif, mais ça a aussi été violent par périodes et ça a créé des traumatismes.
Je ne changerai pas ma vie, mais j’en garde des séquelles et je ne recommencerai pas à la case départ en tout cas.
La chance que j’ai eue dans tout cela est que j’ai eu la révélation, tout gamin, que je voulais faire de la musique.
Ce n’était pas forcément musicien interprète, quand j’ai décidé que ce serait ma vie, c’était plus large qu’interprète, je voyais les choses différemment.
Dans tout ce chemin long et compliqué, j’avais la musique en ligne de mire.
C’était un horizon ?
Oui. Je n’étais jamais complètement perdu, je me raccrochais à ma passion, à mon rêve.
Je savais que j’avais quelque chose en point de mire, je savais où aller.
Je devais prendre une direction qui m’emmènerait vers la musique.
Ça a été fondamental pour moi.
As-tu toujours vécu de la musique ?
Non, pas du tout. Cela a été un long chemin.
Il y a d’abord eu le service militaire. J’ai voulu être réformé. J’étais anti militariste.
Mais je n’ai pas eu de chance et bien que m’étant retrouvé P4, j’ai été classé dans la catégorie absurde « fou temporaire », puis j’ai été convoqué beaucoup trop tard, et on m’a envoyé dans un escadron de combat.
Je n’avais pas de diplôme donc j’ai été très peu scolarisé et je me suis « bougé » en sortant de là, il fallait absolument que je fasse une formation quelconque.
J’ai réussi grâce à un subterfuge à intégrer une école d’informatique.
C’était une école américaine, ils te garantissaient un job derrière, et j’ai pu prendre un prêt étudiant pour rembourser les frais liés à ma scolarité.
Ça m’a permis d’avoir un travail et de prendre une direction dans la construction de moi-même.
Et là j’ai commencé le trajet qui m’a amené à devenir musicien et à vivre de mon métier…
Quand as-tu vraiment commencé à t’y mettre ?
À l’époque, j’ai eu très vite la passion de la musique de film, de la chanson et de la poésie.
Je pratique alors en autodidacte, avec ma guitare…
Je commence à faire des chansons, je m’aperçois alors que j’ai une voix qui ne me permet pas d’être interprète chanteur, je n’ai pas spécialement une grande voix ou une belle voix.
Pas une voix de concours, tu veux dire ?
Oui j’ai une voix qui ne correspond qu’à ce que j’ai envie de faire.
Si je voulais faire ce métier, j’ai vite compris que je devais trouver quelque chose de personnel, une identité propre.
Comment fais-tu pour vivre à cette époque de ton existence ?
Je trouve un boulot à plein temps.
J’étais analyste programmeur et je bossais la nuit.
La première entreprise c’était sur le retraitement des déchets, dans le domaine de l’agro développement.
Ce n’était pas passionnant mais c‘était balbutiant, et je travaillais huit heures par jour.
Et à travers mon groupe d’amis, que je me suis fait à Paris, des jeunes qui comme moi veulent devenir écrivains, metteurs en scène, musiciens, je commence à écrire les musiques des petites œuvres à droite et à gauche, j’achète un petit 4 pistes à cassettes, puis un petit 8 pistes à bande. Tout ça en vivant eu septième étage dans ma chambre de bonne avec les toilettes dans l’escalier, mais j’apprends mon métier ce faisant.
À cette époque, je travaille énormément, je fais aussi la fête, et je dors très peu.
Ça a duré plusieurs années comme ça.
Qu’est-ce qui t’a vraiment permis de te lancer, au final ?
Un court métrage dont je faisais la musique est primé, vers mes vingt-six ans.
J’écris alors moi-même un court métrage, j’ai l’aide du CNC à l’unanimité, mais le producteur que j’avais fait faillite… Je ne peux donc pas réaliser le film.
Cela me refroidit alors d’écrire pour le cinéma, de vouloir réaliser.
Un autre court métrage suit, puis un autre et un jour je fais écouter mes musiques dans le cadre d’une soirée. Je rencontre un « papa de cinéma », Joël Santoni, qui écoute et me dit qu’il trouve cela très bien.
Quelques mois après il m’appelle, et il demande à me voir. Il me convoque.
C’était dans un cinéma, et on m’indique qu’une projection a lieu. Je vois Joël Santoni au premier rang avec d’autres personnes. C’était une projection sur Gaudi pour l’Unesco.
Le film s’arrête. Puis Joël annonce à ces personnes, Jean-Claude Carrière, et Jean-Louis Buñuel, que j’allais devenir le compositeur de la musique de ce film…
Je connaissais peu Gaudi. Je me retrouve alors à écrire la musique pour ce film et ma carrière a vraiment démarré.
On m’a contacté pour des projets rémunérés. Et j’ai commencé à faire mon métier de compositeur de musiques de films sur des téléfilms, des documentaires, des longs métrages…
Ton travail sur les musiques de films a donc été reconnu en premier ?
Oui, la musique de films a marché plus vite financièrement. Je n’aurais pas fait cette carrière si je n’étais pas passionné par cela.
Tes chansons personnelles et ton travail sur les bandes originales sont deux aspects différents dans ta vie…
J’ai été « schizophrène » à ce sujet pendant très longtemps, maintenant moins.
Je compose mes musiques de film au clavier, et les chansons à la guitare.
Il y a bien scission jusqu’à un certain point.
Mais je fais tout cela en parallèle.
Qu’en est-il des maisons de disque ?
Pour mes chansons je vais quand même les voir, c’était leur grande époque, elles étaient toutes puissantes.
Il fallait passer par elles si tu voulais faire de la musique.
Mais je n’avais pas la bonne nature pour ce genre de trucs.
J’ai tout de même signé chez Virgin dans les années 1995, avec Michel Duval, et j’ai commencé à faire un album.
J’ai tendance à ne pas toujours comprendre les situations. Et à l’époque on m’a demandé d’écrire des chansons pour des gens connus. Et ça ne me paraissait pas simple, il me semblait que ce que je faisais était particulier et on me demandait d’écrire pour des gens qui n’avaient pas nécessairement de lien avec mon univers.
C’était peut-être une manière de me protéger, que de refuser.
Alors mon premier album s’est construit, mais de manière… vaporeuse.
Comment a-t-il été accueilli ?
Ce disque sort au moment où je ne pouvais plus tout gérer dans ma vie.
Je n’avais pas décidé d’arrêter mon travail dans l’informatique et je n’étais pas complètement prêt pour faire de la scène.
En plus, je ne cherchais pas à faire dans le commercial concernant mes chansons, ce n’était pas mon envie.
Alors l’album a fonctionné d’une manière très confidentielle…
C’était couru d’avance que ça ne pourrait pas marcher financièrement.
Mais ça a donné par la suite des rencontres avec des producteurs et avec des tas d’autres gens, qui m’ont permis d’avancer. Et des musiciens m’ont rejoint.
Ainsi que des personnalités du monde de la musique ?
Le premier c’était Charlélie Couture. On a fait un duo.
Lui aussi possède un univers personnel, original et un peu barré.
Oui, nous avons des points communs.
Il le dit lui-même à propos de mes chansons : « j’y vois un peu de moi-même »
Je fais des scènes, ensuite, mais je ne suis pas très connu.
J’ai ensuite très vite arrêté d’aller voir les maisons de disque, car je ne trouvais pas le bon langage avec eux.
C’était un problème commercial ?
Oui les rendez-vous ne se passaient pas très bien, j’étais timide, c’était l’enfer.
Après il y a les Olympia…
C’est une histoire assez originale. Nous sommes alors au tout début des réseaux sociaux.
J’ai commencé à me rendre compte que c’était dans ma nature de communiquer à travers ces réseaux sociaux balbutiants. De m’adresser directement aux gens. .
J’ai été un des précurseurs des financements participatifs. La première année de facebook je monte comme ça un certain nombre de concerts et je dis « je vais faire L’Européen, c’est 400 places » Je lance un groupe, sur facebook, et je dis s’il y a 300 personnes qui s’inscrivent, je fais L’Européen, persuadé que cela ne marcherait jamais. Et cela a marché. À l’époque les gens qui répondaient venaient.
C’était ma première grande salle.
Ça se passe très bien et à la sortie je déclare que je veux faire l’Olympia.
C’était mon rêve.
J’ai recommencé un groupe virtuel et j’ai fait l’Olympia comme ça.
Petit clin d’œil : Je suis né le 11 novembre, le 11/11, et l’Olympia je l’ai fait le 11/11/11… le vrai jour de mes 50 ans.
J’imagine que ce devait être très spécial pour toi…
C’était merveilleux, des gens m’ont jeté des fleurs, c’était superbe.
L’album d’après, je me dis « essayons de refaire l’Olympia »
Je le contacte, et ils me disent oui.
Mais je réfléchis et les réseaux sociaux sont saturés, les gens ne viennent plus vraiment alors qu’ils disent qu’ils vont venir. Je ne veux plus le faire.
L’Olympia me convainc du contraire. C’était en 2014, et je suis Coup de cœur de l’Olympia.
Dans ton nouvel album, L’Incertain, tu fais un duo avec ta compagne ?
Avec Sophie Gourdin, oui. C’est une création pour cet album-là, avec ce morceau l’incertain, qui est aussi le titre de l’album.
Cette chanson parle d’une réponse au genre d’idéologie extrémiste qui pourrit notre monde d’aujourd’hui.
J’apporte évidemment des réponses au niveau poétique.
Et j’ai pensé à l’oppression des femmes, surtout chez les intégristes. Les premières agressées sont les femmes, et il fallait qu’il y ait une voix de femme qui chante avec moi.
D’où le duo.
Des univers musicaux t’ont-ils marqué ?
Bashung, Dutronc, Gainsbourg, Manset, Charlélie Couture, et toute cette bande d’auteurs français qui travaillent sur de l’anglo-saxon, cette rupture avec la chanson folklorique française.
C’est là mon courant, ma rue.
Je citerais aussi Maxime Le Forestier, quelques chansons d’Aznavour, de Brassens,
de Thiéfaine.
Bashung disait « Déjà, si je comprends le texte à la première lecture, ça m’emmerde »
J’aime bien qu’il y ait du fond.
Acceptes-tu le qualificatif de chanteur à textes ?
Oui, mais pas des chansons chiantes…
Ou au moins je l’espère.
C’est comme pour les intellos, je trouve que les bons parviennent à te faire passer le message de manière claire, d’une manière qui t’ouvre, te passionne, t’éclaire.
Et ton univers littéraire ?
Baudelaire, Jim, Harrison, Stendhal, Apollinaire, Verlaine, Quignard, Camus, Desnos, Prévert
Tu entretiens un rapport plus spécifique avec Baudelaire ?
Baudelaire je l’ai vraiment trouvé, j’ai l’impression d’avoir un alter ego en lui. Sans être prétentieux, mais sur le plan humain. Je le chante parce que je sens un vrai lien, une connexion avec lui.
Parle-nous de ton concert à venir au Trianon, le dimanche 23 octobre 2016…
Le programme : deux pré-première partie, Céline Tolosa et Inès Desorages ; Émilie Marsh fait la « vraie » première partie, et puis il y aura mes onze nouvelles chansons, que je vais présenter.
Il y aura également, entre autres, deux duos avec Emilie Marsh, dont un duo sur la reprise de Sur un trapèze, la chanson d’Alain Bashung et Gaëtan Roussel.
J’adore cette salle, je pense qu’elle a le meilleur son de Paris. C’est une salle de théâtre à l’italienne, c’est très beau.
J’espère que ça donnera un beau spectacle de Rock poétique underground et baudelairien.
À Rebelle(s), nous défendons une certaine idée de la rébellion, pas stérile mais utile. Nous vivons une époque très tourmentée, avec les guerres, et puis politiquement, avec la montée des extrémismes.
Nous souhaitons défendre une certaine insurrection poétique des consciences. Est-ce que cela te parle ?
Je suis fier d’être interviewé par le magazine Rebelle(s). Je me définis comme subversif. Je ne crois pas à la confrontation frontale ou à la violence, mais je crois à la rébellion constructive, à la subversion et en ce sens je vous rejoins.
J’espère que mes albums sont subversifs et amènent celles et ceux qui les écoutent, sans s’en rendre compte, à un éclairage.
Petite anecdote, plutôt drôle : Mon signe astral est scorpion ascendant scorpion, et on dit toujours que c’est un signe qui détruit, or c’est faux, le scorpion détruit pour créer. Il fait table rase du passé, comme une chanson de Bashung le dit, pour créer quelque chose de nouveau et de positif. C’est une reconstruction à partir de la destruction des choses qui nécessitent de l’être.
Merci, François Staal.