L’écrivain essayiste est souvent tenté de participer au concert tapageux des polémiques, si possible médiatisées. Georges Picard fait plutôt son miel de la discrétion, loin des modes et de l’air du temps. Pourtant, il consacre son travail d’observation et d’analyse à des thèmes qui traversent l’époque : « De la connerie » en passant par « Le malheur de trop penser à soi », ou « Du bon usage de l’ivresse » au « Cher lecteur », il croise et fouille les coins et recoins qui encombrent les relations sociales et flétrissent l’épanouissement individuel. À l’affirmation des certitudes, il préfère le recul de l’ironie. Ses « Petits essais de pensée dissonante » confirment bien cette intention : « n’ayant rien à démontrer ni personne à persuader », il entend mener « librement » ses « cogitations ». Il affiche sa volonté de laisser sa pensée « musarder » pour « débusquer des idées » qu’il refuse de développer au-delà du point où elles lui imposeraient de « rameuter la grosse artillerie de l’argumentation ».
Cette légèreté revendiquée lui permet néanmoins d’aborder une trentaine de sujets plus essentiels qu’il n’y paraît. Intemporels, certains résonnent néanmoins avec l’actualité. Ainsi défilent ses réflexions sur « s’indigner », « les mensonges », « l’imbécilité », « l’intelligence sans générosité », « la part obscure de l’autre »… la poésie constituant une toile de fond récurrente. Malgré la brièveté de chacune de ses étapes, ce survol est loin d’être superficiel et n’empêche pas le sérieux ni la profondeur. Ainsi de cette considération sur un problème d’actualité : « un raisonnement peut être ponctuellement faux, reposant sur une erreur, simple faute technique si l’on veut, sans entacher l’ensemble d’une pensée.
Mais un préjugé aussi grossier que le racisme ou l’antisémitisme excède largement le simple cadre logique. Il disqualifie la notion même de pensée rationnelle, voire de pensée tout court, en désobéissant à son principe fondamental : l’esprit critique ». Il n’hésite pas non plus, à rebours des louanges qu’on leur porte, à vilipender « les écologistes français », dont l’action se réduit surtout « à des discours, à des manifestations, parfois à des coups médiatiques, ce qui est un peu faible face au mur du capitalisme et aux bastides des lobbys agricoles et industriels ». Il se plaît à leur opposer « la force non discutable de la sincérité et de l’engagement » de Henry David Thoreau qui a montré « de façon caricaturale la différence entre agir et s’engager à agir ».
La variété et la pertinence des pérégrinations que propose Georges Picard dans ce 25e opus leur confèrent une puissante fraîcheur et ouvrent de multiples pistes et chemins de traverse que le lecteur est libre d’emprunter ou de délaisser. Mais il insiste néanmoins sur la nécessité de « garder les yeux ouverts sur l’horizon tragique de nos petites vies vouées au néant », même si « pour supporter la vie il faut en oublier parfois le tragique ».