Un retour sur la saga Rocky et une analyse de « Creed », film sorti le 13 janvier 2016
Il est de ces sagas mythiques qui ont marqué, sinon l’histoire du cinéma, au moins l’imaginaire du spectateur. Les processus identificatoires y sont souvent forts, les symboles choisis pour impacter durablement les « fans ». Non, nous n’allons pas parler de nouveau de « Star Wars », mais du « spin off » d’une série de films, « Rocky ».
Et là, bonne surprise ! Tout comme Star Wars VII renouait (parfois même un peu trop) avec son passé, « Creed » rend hommage avec finesse au tout premier « Rocky »… Let’s get ready to rumble !
Qui n’a pas déjà entonné la chanson mondialement connue “Eye of the tiger”, emblématique du tout premier épisode de la saga Rocky ? Toute une génération de spectateurs a été marquée par ce personnage, imaginé par Sylvester Stallone : ce boxeur de seconde zone, plongé dans la galère d’un quotidien éprouvant, choisi un jour parmi d’autres pour combattre le champion du monde en titre, Apollo Creed…
Dans le premier film, on suivait le parcours cabossé, comme son chien et comme lui-même, du boxeur Rocky Balboa, personnage attachant bien qu’un peu simplet, et qui allait, tout à coup, devoir affronter une montagne. On s’identifiait à ce David allant combattre un Goliath, on plongeait avec Stallone dans la misère des bas fonds de Philadelphie, on courait avec lui quand il courait dans les rues, et on vibrait quand il trouvait l’amour.
C’était un film touchant, pas tourné comme un film d’auteur, mais qui n’était pas construit non plus pour devenir un blockbuster.
Stallone avait éveillé un sentiment d’universalité chez le spectateur, une sorte de rêve américain transposé au monde entier, ou comment un brave gars de « Philly », boxeur amateur muni de son seul courage et de sa seule volonté, allait renverser des montagnes avant d’accéder au sommet.
Pour un budget de 960 000 dollars, une misère pour une production américaine, même à l’époque, le film allait rapporter en tout 225 millions depuis sa sortie en 1976…
Ce que le personnage de Rocky détenait en priorité, c’était du chien, du caractère, du courage, quoi. Un vrai survivant. Il avait « des couilles ». On peut dire que depuis, son interprète à l’écran les a en or…
Bien sûr, Hollywood a voulu faire fructifier cet apport « Stallonien ».
Rocky revint plusieurs fois sur le ring, même âgé, et les suites se succédèrent, tirant sur les mêmes ficelles, de plus en plus grosses ; reprenant les mêmes symboles, de plus en plus « has been » ; sans jamais atteindre la mélancolie et la sensibilité de l’original. Voire même, tournant un peu au ridicule, comme dans Rocky 5…
Mais on avait déjà senti une vergence dans la force dans « Rocky Balboa » (Rocky 6), davantage centré sur Rocky lui-même, comme une volonté de retour aux sources, versant plus dans l’intime.
Cette intimité se retrouve dans « Creed ». De manière surprenante il s’agit cette fois d’un blockbuster tourné à la manière d’un film d’auteur, que ce soit sur le plan visuel ou scénaristique.
D’une part, le réalisateur a fait le choix de filmer des plans serrés, au plus près des personnages, sur et en dehors du ring. En outre, des boxeurs professionnels ont été choisis pour interpréter le rôle des adversaires d’Adonis, le héros du film. Néanmoins, cette approche réaliste fut complètement abandonnée lors du combat final, le nombre et la violence des coups échangés étant impossibles à encaisser pour un boxeur, champions y compris.
D’autre part, cette intimité visuelle se retrouve sur le plan scénaristique, les interactions entre les personnages étant au cœur du scénario. Ainsi, tout le film s’articule autour de la relation avortée entre Adonis et son père Apollo Creed, ce dernier étant mort sur le ring avant même la naissance de ce fils illégitime. Le personnage d’Adonis recherchera durant tout le film à se rapprocher de celui qu’il n’a pas connu et à retrouver ce lien qu’ils auraient pu développer ensemble.
Ainsi, la relation filiale entre le vieux Rocky désenchanté et le jeune Adonis en quête de repères paternels, est amenée finement, si bien que le spectateur peut choisir d’ignorer les ficelles de ce nouvel opus.
De la même manière, l’intimité amoureuse est traitée avec une grande sensibilité.
Étrangement et contrairement à l’idée que l’on se fait d’un film de boxe, la maladie est omniprésente dans cette histoire, mais le sujet est traité sans pathos : la petite amie musicienne d’Adonis souffre de surdité dégénérative et le vieux Rocky Balboa apprend qu’il est atteint d’un cancer. Finalement, ce que ce film illustre le mieux, c’est que la vie est un combat, que ce soit dans les rues de Philadelphie, ou sur le ring d’une compétition internationale, même lorsque l’issue est jouée d’avance.
La personnalité de Ryan Coogler, scénariste et réalisateur sur ce film, y est certainement pour beaucoup. Issue d’une famille noire américaine et de parents tous les deux travailleurs sociaux, cette étoile montante du cinéma a certainement été sensibilisée dès son plus jeune âge aux difficultés sociales d’un pays qui peine encore et toujours à accepter sa population afro-américaine. Déjà, dans « Fruitvale Station », son premier long métrage, qui contait les dernières 24 heures d’Oscar Grant, abattu par un policier, il traitait de cette épineuse question. Si dans « Creed », ce sujet n’est pas directement abordé, le réalisateur distille des scènes par petites touches de manière à interpeller le spectateur sur la ghettoïsation des noirs ou encore le taux extrêmement élevé de jeunes afro-américains actuellement en détention.
« Creed » est le premier « Rocky » à ne pas être scénarisé par Stallone et si « Sly » avait déjà fait du beau travail dans « Rocky Balboa » (Rocky 6), Ryan Coogler renoue avec une approche sociale et mélancolique négligée après le premier opus.
Il apporte à cette saga emblématique ce petit plus qui finissait par nous manquer.
Par Christophe Diard et Fanny Durousseau