John Steinbeck
Jours de travail, les journaux des Raisins de la colère – Éditions Seghers, coll. « Inédit », 2019, 206 p., 19 €
Il faut lire ce carnet de bord de John Steinbeck pour découvrir, ou se rappeler, que l’écriture peut être une « épreuve ». Car la lecture des « Raisins de la colère » ne laisse pas supposer combien l’auteur de ce chef-d’œuvre couronné par le Prix Pulitzer, a dû lutter pour l’accomplir. D’autant plus que son roman précédent, « Des souris et des hommes » avait reçu les louanges de la critique, que l’auteur a la hantise de décevoir. Il le raconte sans pudeur ni faux semblant, confiant au jour le jour, au fi l de 121 « entrées » dûment datées, tel un artisan besogneux, les multiples facettes de ce « travail » qu’il conçoit comme « un devoir contre la paresse ». Mais cet obstacle psychologique n’est pas le seul qu’il assume à livre ouvert. Il prend soin de décrire également, son écartèlement entre les aléas de la vie quotidienne – il ne cesse de penser à l’achat d’un nouveau ranch… – dont il refuse de s’extraire, ceux de son environnement « professionnel » – il s’interroge sans cesse sur l’éditeur qui publiera le livre… – avec lesquels il est contraint de composer, et ceux de l’écriture – il se fixe quotidiennement un objectif chiffré… qu’il doit surmonter journellement, page après page, mot après mot. Il ne cherche pas davantage à s’isoler des bruits du monde qui l’entoure, bouleversé par le sort des familles de saisonniers ou terrifié par le discours hitlérien. Il conte comment, grâce à des exhortations telles que « je dois » ou « et maintenant on y va », il parvient à surpasser son « effondrement intérieur ». Ainsi, modestement, avec discipline, il écrit une autre œuvre, littéralement documentaire, sur la fabrique d’un roman, au fur et à mesure que s’élaborent méthodiquement sa forme et son sens, malgré les doutes, les inquiétudes et les souffrances qui l’assaillent. Une illustration percutante des affres de la création, dont on espère, même s’il ne le dit pas, que l’énorme succès des « Raisins de la colère » l’aura soulagé…
Patrick Boccard