La révolte des gilets jaunes est bel et bien un cri du peuple. Mais que traduit-il ? Que faut-il en comprendre ? N’est-elle qu’une forme d’hystérie collective qu’il faut ranger dans une catégorie nosologique ? Les gilets jaunes sont-ils simplement bons pour l’asile ?
Derrière les multiples revendications, rassemblements, et actions des gilets jaunes, il y a un dénominateur commun qui rassemble tous ces enfants mal-aimés de la patrie : le sentiment d’abandon national face à l’absence d’un « parler-vrai » sur la vérité quant à la situation sociale. En effet, jamais les institutions au pouvoir n’auront été si surplombantes, n’auront été aussi déconnectées du peuple français et aussi promptes à employer à tout va le bavardage, justement l’esquive du parler-vrai. L’économiste peut nous éclairer sur les difficultés financières de nos concitoyens. Le sociologue peut quant à lui analyser les mutations sociales à l’instar de la révolution numérique qui a radicalement bouleversé nos modes de communication et le sens de la sociabilité. Mais il revient au psychanalyste d’expliquer que derrière la fonction présidentielle existe une fonction paternelle dont l’importance dépasse de loin les débats stériles et improductifs entre les bien-pensants de la médiasphère.
Secession Plebis (la plèbe fait sécession)
Les citoyens délaissent leur place dans la cité pour s’opposer à la classe dirigeante. Cela n’est pas sans rappeler le bel ouvrage de l’ethnologue anarchiste Pierre Clastres « La société contre l’État » où il explique justement les mécanismes anthropologiques mis en place par les peuples amérindiens pour empêcher tout exercice du pouvoir.
Aujourd’hui, les gilets jaunes ne veulent plus subir le pouvoir de la classe dirigeante, ils se sentent complètement délaissés par cette dernière et veulent retrouver le bonheur d’être-ensemble.
La révolte des gilets jaunes fait resurgir ainsi un refoulé fondamental : le besoin de communion avec les autres, le besoin de vibrer ensemble autour d’un destin commun que nos institutions surplombantes ignorent délibérément. Derrière la révolte, il y a une souffrance morale sans commune mesure qui exprime un malaise social profond : déconnexion avec l’État, les institutions, déconnexion entre citoyens français à l’heure de la communication virtuelle particulièrement inauthentique.
L’inflation pathologique d’un Éros pur
Il y a également des tabous sous-jacents dans ce cri du peuple. Tout simplement, l’inflation pathologique d’un Éros pur. La capacité d’aimer sans attendre en retour s’est perdue au profit par exemple d’une consommation massive d’objets et images pornographiques ou encore de fantasmes délirants irréalisables dans la réalité sociale. À l’image des propos absurdes d’un Jacques Séguéla qui nous disait autrefois que « si à cinquante ans, on n’a pas une Rolex, c’est qu’on a quand même raté sa vie ». Et que dire de ces jeunes geek qui entretiennent des relations intimes avec des sexbot, des robots sexuels ou des hologrammes. Derrière ces faits divers se cache une réalité bien douloureuse : on ne sait plus aimer et on ne se sent plus aimer. Un Président hautain qui fait la morale à un jeune élève extraverti en manque d’attention ou qui prend de haut un chômeur se sentant marginalisé et abandonné par le système ne peut pas incarner le père de la Nation, le re-père idéal dont tout à chacun a besoin pour se sentir appartenir à une communauté de destin. Et quand un gilet s’adresse à Pôle Emploi, à l’administration publique, à la médecine, qu’éprouve-t-il en général : toujours ce sentiment d’abandon national. Le gilet jaune n’est pas écouté, n’est pas considéré, n’est pas aimé ni par le conseiller de Pôle Emploi, ni par son employeur, ni par le médecin, ni par le psychologue du CMP du coin, ni par l’élu local, et encore moins par le Président de la République.
Du besoin de retrouver le plaisir d’être ensemble
La révolte des gilets jaunes n’a rien d’un mouvement uni, organisé et encadré par un leadership politique ou syndical. En fait, chaque gilet jaune exprime à sa façon sa propre revendication : lutter contre le capitalisme, défendre la nature, diminuer les impôts, baisser le prix de l’essence, augmenter les salaires, consommer moins cher, etc. Au-delà des revendications, il y a un principe unificateur qui s’est imposé inconsciemment par la spontanéité contagieuse de ce mouvement : le plaisir d’être-ensemble, la plénitude de l’effervescence sociale. Peu importe la revendication, on se retrouve dans la rue, sur le rond-point pour redécouvrir le sentiment d’appartenance à un clan, une tribu. Etrange paradoxe : le sentiment d’abandon national a conduit les citoyens français à renouer avec le sentiment d’appartenance sociale !
La défaillance du Père de la Nation
Le Président Macron est un fake. Il ne représente en aucun cas l’icône mythico-républicaine dont le peuple a besoin pour aimer et se sentir aimer. Les réformes et autres mesures (suppression de la taxe d’habitation, maintien ou non de l’ISF, création du référendum d’initiative citoyenne) ne seront plus en mesure de dissimuler la réalité présidentielle. Oui, Macron est un fake, un charlatan qui méprise le peuple. Voilà toute l’arrogance d’un énarque arriviste qui a tué la fonction paternelle inhérente au rôle de Président de la République Française. Le seul leitmotiv des gilets jaunes est assez simple en fin de compte : « on en a marre de la Macronie, du système oligarchique, on veut vivre notre vie, on veut aimer et se sentir aimer, faire la fête et nous libérer des peurs crées par l’État ».
La révolte des gilets jaunes : une maladie dangereuse ?
L’hystérie collective que représente la révolte des gilets jaunes ne peut être considérée par la classe dirigeante ainsi qu’une maladie psychiatrique précisée par la nosologie, une épidémie dangereuse et contagieuse qu’il faut contenir par un traitement politique de masse, par une camisole répressive.
Aux yeux des dirigeants et des bien-pensants, les gilets jaunes sont des bouseux, des sans-dents bons pour l’asile, lieu d’enfermement utilisé par l’État pour se débarrasser de ceux et celles qui refusent d’accepter l’oligarchie actuelle. La Secessio Plebis est une maladie qu’il faut éviter à tout prix. C’est bel et bien ce que pense notre classe dirigeante. Dès lors, on imagine le rôle que peut se donner l’institution psychiatrique, dans un tel contexte…
Frédéric Vincent